« La génération perdue »
Nous partons d’une parole d’un jeune homme, Erwan, âgé de 18 ans, qui souffre suite à deux ruptures amoureuses consécutives et qui viendra à dire, lors d’un entretien, « nous sommes une génération perdue ».
Il a beaucoup de colère en lui, car vit ces ruptures comme quelque chose d’injuste qu’il ne comprend pas. Dit que les moqueries quotidiennes au sein du centre de formation ne l’affectent pas mais nourrissent sa colère en lui, comme une « boule de haine », qu’il garde en lui. Ne parle pas de ses émotions et de ses ressentis aux autres, ne les montrent pas, il dit « avoir un masque ». Il garde tout en lui et parfois cela peut exploser. Quand il sent que ça monte il se « cache » et va pleurer ou exprimer sa colère en toute discrétion.
Il ne s’estime pas, n’a pas confiance en lui, doute sans cesse de lui.
Il réussit à nommer des qualités comme sa faculté d’écoute, il aime aider les autres quand ils se sentent mal, car cela lui fait du bien. Nomme aussi qu’il peut être « trop gentil, trop con » mesurant que parfois certains en abusent et ajoute qu’il ne sait pas quand l’autre en abuse, il ne perçoit pas toujours la limite franchie par l’autre.
Il nomme le rêve de se marier, d’avoir des enfants, a une perception bucolique de la vie de couple, même s’il dit qu’il n’est pas dupe car il sait qu’il n’est pas parfait et ne recherche pas « une femme parfaite ». Il ne sait pas s’il peut encore rêver, en tout cas, il met son rêve de côté, en lien avec cette impression d’un impossible de la rencontre.
Génération désenchantée
Nous pourrions nous dire que nous sommes loin d’une certaine chanson des années 90 « Génération désenchantée », mais en fait cela semble être la réalité de beaucoup de jeunes gens qui sont confrontés à ce réel qui fait effraction et qui fait trauma.
Telle cette jeune fille âgée de 16 ans, en première au lycée, qui nomme qu’elle est persuadée qu’elle ne vivra pas au-delà de 25 ans, sans pouvoir dire pourquoi, elle le sait, elle « le sent ». Ce qui empêche pour elle toute projection, dans le sens où elle ne se voit nulle part après le BAC, n’a pas de projet quant à des rencontres amicales ou amoureuses, des projets de voyage, de travail…semble figée dans un présent morose et triste, où l’absence d’envie et d’élan domine. Elle s’est renseignée sur le net et a découvert qu’elle n’était pas la seule à penser ainsi, ce qui la conforte dans cette idée de mort imminente, avant d’avoir vécu.
Ou cette jeune fille, âgée de 16 ans également, qui essaie de composer avec son présent, n’aimant pas aller en cours, ne réussissant pas à se projeter si ce n’est par le biais de son copain qui se projette pour deux. Sa question est « qu’est-ce qui se passe après la mort ? », ayant besoin de se l’imaginer avant de vivre sa vie et de s’imaginer de son vivant. Elle ne se rattache à rien, elle est « sur pause », elle nomme son amour pour son copain qui représente beaucoup à ses yeux car il essaie de la comprendre même si parfois « il n’y comprend rien ». Elle semble être dans un présent qui n’a pas de consistance, où il lui faut trouver sa solution pour que ça tienne pour elle, comme le sport qu’elle a pratiqué, la religion et maintenant les faux ongles qu’elles dessinent comme des œuvres d’art éphémères.
A quoi se raccrocher alors ?
Au sein du Point Accueil Ecoute Jeunes de Lorient, nous accueillons les jeunes en questionnement quant à leur présent et leur quotidien, quant à leur lien aux autres, qui en soi ne les rassure pas, par une absence de fiabilité, où la confiance n’y est plus. Le temps des entretiens va consister à se rassembler, à se retrouver, à retrouver le fil ou le cours de sa vie, de sa scolarité, de son rapport aux autres, son rapport à soi et au corps…
Le PAEJ apparaît comme un point d’accroche, et l’accompagnement comme un plus ou moins long cheminement, « un voyage », sinueux parfois, pour aller vers sa solution, sa réponse.
Du côté du cinéma
« Jouer avec le feu » de Delphine et Muriel Coulin (2024)
C’est l’histoire d’un père qui se retrouve veuf, avec ses deux grands fils, sur lesquels il veille. Peu à peu, incrédule face au comportement de son aîné, il mesure que, pourtant, après les avoir éduqués de la même façon, aimés pareillement, ils sont si différents l’un de l’autre, voire opposés. En effet, le plus jeune se conforme au père et le plus grand se perd dans le radical et l’extrême, en ayant pour amis des jeunes qui prônent le néo nazisme, ce qui le conduira à l’irréparable.
Du côté de la littérature
« L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » de Haruki Murakami
« Depuis le mois de juillet de sa deuxième année d’université jusqu’au mois de janvier de l’année suivante, Tsukuru Tazaki vécut en pensant presque exclusivement à la mort ».
Voici le résumé de ce magnifique roman, qui est, avant tout un pèlerinage du jeune Tsukuru, afin de trouver du sens à ce qui lui est arrivé, en l’occurrence, le rejet de ses amis sans que ceux-ci ne lui donnent de raison. Ainsi ce pèlerinage s’apparente à une quête de sens pour celui qui est sans couleur et dans une réelle absence de vie depuis ses 16 ans. Trouver le sens de ce rejet va lui redonner le sens de sa vie.