Les adolescents sont-ils en manque d’estime ?

L’estime fait le bonheur

Selon la littérature une bonne estime de soi serait source de stabilité émotionnelle, d’adaptabilité et d’inventivité face aux épreuves de l’existence, elle nous permettrait de concrétiser nos projets, d’aller vers les autres, de se sentir intégré, bref, serait gage de bien-être et de réussite. Or les adolescents seraient particulièrement enclins à avoir une faible estime en cette période où ils sont en quête d’eux-mêmes. Leur degré d’estime de soi ferait partie de ces indicateurs à surveiller pour éviter des phénomènes tels qu’addictions, troubles alimentaires, échecs scolaires, dépression, isolement…

Ce concept d’estime de soi est issu des travaux du psychologue américain William James autour de 1890. Ce dernier considère qu’un individu a une forte estime de lui-même lorsque ses réalisations correspondent à ses aspirations. L’estime de soi serait ainsi le résultat d’une comparaison entre les caractéristiques perçues du soi actuel et un soi idéal, c’est-à-dire un point de référence propre à chacun.

Ce concept sera ensuite repris par les chercheurs Anglais et Américains s’intéressant aux stratégies adaptatives développés par les individus au cours de leur vie.


Faut-il réinsuffler de l’estime à ceux qui en manquent ?

Depuis, l’estime de soi tend à s’imposer comme explication causale à de nombreux maux dans les secteurs de la santé, de l’éducation, du sport, de l’entreprise, … et constitue le fonds de commerce de livres, stages et conférences à ceux qui en seraient carencés.

Dès lors, il est tentant de diagnostiquer cette même carence chez un adolescent qui tiendrait un discours dépréciatif du type « je suis nul, je ne vaux rien ». Au regard des conséquences potentiellement délétéres de cet état, il faudrait en réponse contrebalancer ce déficit par une sorte de perfusion d’estime (encouragements, réassurances, …) ou par des exercices de « musculation » de l’estime de soi, comme c’est le cas dans les écoles américaines qui proposent des séances hebdomadaires de self-confidence lors desquelles les enfants sont congratulés pour être restés assis vingt minutes d’affilée.

Nous pensons que ce type de réponse maintient les adolescents dans une phase qu’ils doivent justement quitter et qui comme tout renoncement ne peut se faire sans peine.


Après l’attente, la déconvenue…

L’adolescence est caractérisée par une série de désillusions. Les idéaux d’enfants – devenir astronaute, riche, célèbre, comme « papa » ou « maman » – tombent en désuétude, les promesses entendues hier pour faire supporter les frustrations ordinaires :« quand tu seras grand tu comprendras, tu feras ce que tu voudras, … », se dévoilent comme des contes pour enfants et peuvent faire naître maints ressentiments à l’égard de ces adultes trompeurs. Là où l’enfant pensait que les règles étaient absolues, intangibles et universelles, l’adolescent découvre qu’elles sont arbitraires, relatives et discutables. Pourquoi dès lors les respecter? Pourquoi continuer à obéir puisqu’il n’y a au final pas de justice distributive (les plus vertueux ne sont pas les plus récompensés) ?

Plus rien ne va de soi, rien n’est assuré. L’adolescent fait l’expérience de la contingence : ce qui existe aurait pu être autrement ou ne pas être du tout, y compris lui-même. Alors qu’il se découvre dans sa vulnérabilité, son impératif devient de conquérir sa légitimité à exister. La chute de l’enfance appelle une renaissance, et avec elle, une soif d’exister, d’aimer, d’avoir du pouvoir, de l’influence…

La revalorisation est attendue des pairs, du double élu, celui ou celle qui semble avoir ce qui vous manque. Certains s’engagent dans de grandes causes humanitaires, écologiques, ou politiques. Ils espèrent d’autant plus changer le monde qu’ils se découvrent limités et fragiles. Pour quelques-uns l’indignité d’être peut devenir une hypothèse et le repli dans la dépression une manière d’éviter la perte des vérités infantiles.


La reconquête de soi ne passe pas seulement par l’image

Dès lors, qu’entendre chez l’adolescent qui vient dire “ je suis nul ” ? Avant de se précipiter vers la carence à combler ou la pathologie à diagnostiquer, il nous parait important de laisser place à l’amertume ordinaire qui accompagne ce constat que tout ne s’éclaircit pas en grandissant. Déception teintée d’infinies variations, allant du découragement à la colère. Colère dirigée contre sa propre impuissance ou contre l’injustice du monde, ce qui place si souvent les adolescents en procureurs implacables.

Si l’enfant se construit en se prenant pour l’être extraordinaire que ses parents aiment voir en lui, l’adolescent doit renoncer à ce modèle préfabriqué pour s’échafauder des grandeurs à venir, se donner des promesses ancrées dans le réel: « voilà ce que je pourrais être si je m’en donnes les moyens ». Ce qui réintroduit de la temporalité, de l’incertitude et du risque. C’est à la fois un moment d’ouverture des possibles du fait de l’acquisition de nouveaux pouvoirs dont il est tentant d’user et d’abuser et en même temps de restrictions de ceux-ci puisqu’il faut composer avec la loi et les autres.

Rappeler à un adolescent morose qu’il brille autant que les autres, même si cela lui fait du bien dans l’instant, c’est encourager la régression vers le clinquant de l’image, le retour à la mégalomanie infantile alors même qu’il doit s’en détacher pour découvrir sa valeur dans ses réalisations et ses engagements.

Cette valeur, les adolescents peuvent l’éprouver aussi dans leur prise de parole, leur capacité à énoncer une pensée qui leur est propre, à prendre position dans un débat, comme à prendre de la distance par rapport à ce qui les agite, évitant ainsi d’en passer trop par l’agir. Exercice évidemment difficile, dans lequel nous les accompagnons en tant que professionnels à SeSAM Bretagne par le biais d’ateliers collectifs ou d’entretiens individuels.

Hugues RENAUD

psychologue clinicien, Point Accueil Ecoute Jeunes du Pays de Morlaix