Rapports conflictuels entre parents et adolescents : nécessaire passage ?

Dans les rencontres parents que nous organisons au Point Accueil Ecoute Jeunes Oxyjeunes , reviennent fréquemment les plaintes autour de l’opposition manifestée par les adolescents à l’égard de leurs parents, parfois violentes quand arrive le temps de la puberté.

Grandir implique-t-il nécessairement un conflit ?

La psychanalyse nous éclaire sur ce point.

L’enfant qui vient au monde n’a pas d’autre solutions que de passer par la violence, entendons par là n’a pas d’autre choix que d’entreprendre ce nécessaire travail de différenciation entre lui et sa mère. C’est le premier travail du bébé, d’avoir le sentiment de son existence propre. Pour vivre en son nom, l’enfant est obligé de quitter cette position de dépendance.

Grandir est donc en soi un acte agressif. Toute la construction psychique de l’enfant est un long processus de séparation. C’est le « non », l’opposition qui survient assez tôt dans la petite enfance qui permet de le distinguer comme sujet.

Plus tard, lors de la période dite de latence, l’agressivité se déplace avec l’intériorisation des interdits parentaux. On peut dire qu’à ce moment-là, l’agressivité est en quelque sorte retournée contre soi en lien avec la répression des désirs. L’enfant espère alors que ses désirs se réaliseront plus tard quand il aura quitté l’enfance, il s’agit du fameux « quand je serai grand »…

Mais à l’adolescence, l’illusion tombe lorsque l’enfant comprend que les parents sont impuissants à tout transmettre et à lui éviter le pire. L’enfant mesure alors la défaillance de ses parents et des adultes. C’est là, la cruelle désillusion rencontrée par certains adolescents, quand ils se rendent compte que leurs parents ne sont pas tout puissants, mais mortels, imparfaits et limités. L’ado prend cette déception de plein fouet. Le « quand je serai grand » avec sa promesse de toute puissance et de réalisation de ses désirs, qui structurait son monde, ne tient plus. L’ado se cherche, se pose des questions existentielles. Avec l’avènement de la puberté, il a affaire à ce moment-là à des pulsions parfois insoutenables, à un nouveau corps qui lui est étranger, à une violence en lui qu’il doit traiter.

C’est ainsi qu’un enfant parfois très affectueux peut devenir indifférent avec ses parents, voire les rejeter violemment. Revient alors aux parents de supporter en retour les effets de séparation dans laquelle ils perdent eux aussi l’enfant qu’ils avaient idéalisé, imaginé, fantasmé. Celui-ci disparaît brutalement, rompt les liens établis. Martine Menez évoque l’enfant qui « se fait étranger à demeure ».

Vertige pour les parents où plus rien ne semble faire prise. L’enfant devenu « grand » vient en quelque sorte réclamer des « comptes ». Griefs, reproches, critiques, agressivité voire  violences de l’adolescent envers ses parents, mais aussi envers les autres adultes sont les manifestations de ce qu’il découvre : un manque dans l’Autre.

Violence de ce moment pour l’entourage, mais c’est là, la condition nécessaire pour s’affirmer.

Si le conflit peut être un épisode, P. Baudry évoque le concept de « conflictualisation » qu’il définit comme « un processus permanent, plus ou moins accentué, qui permet une distanciation dynamique, c’est-à-dire la situation d’identités séparées ». Il précise que l’adolescence loin d’être une catégorie, se présente surtout comme « un rapport au monde et dans la temporalité d’un passage ».

Délicat passage en effet, étroit, d’autant que l’ado n’est pas à l’abri des mauvaises rencontres. Mais le parent, s’il peut inscrire quelques limites structurantes (toutefois essentielles !), ne peut le mettre à l’abri de tous dangers, ni tracer sa route future. Freud l’écrit ainsi : le jeune « doit se détacher de l’autorité des parents, ce qui est pour l’individu qui arrive à maturité, une des opérations de son développement les plus nécessaires mais aussi les plus douloureuses ».

Il s’agira alors de tendre l’oreille dans ce bruit bien souvent assourdissant pour les parents ou l’entourage ; sans perdre de vue que les parents et adultes, même s’ils ne peuvent pas donner à leurs enfants ce qu’ils attendent, resteront pour eux des modèles identificatoires, qui les mènera petit à petit à la construction de leur identité d’adulte.

Des oreilles existent ailleurs quand celles du domicile ou de l’entourage proche viennent à saturer. Les parents comme les jeunes peuvent trouver une oreille au PAEJ ou dans les autres structures proposant une écoute, dans le secteur de la prévention mais aussi du soin quand cela s’avère nécessaire.

A l’association SeSAM Bretagne, nous savons qu’il n’y a pas de recettes d’avance, de solutions pour tous, ni de comportements normalisés à atteindre aussi bien pour les parents que pour les jeunes que nous recevons.

A chacun d’y répondre : tous contraints à l’invention et…. à la patience !

Vandine Taillandier

Psychologue clinicienne, PAEJ Oxyjeunes