Qu’est-ce qui angoisse à l’adolescence ?

Prendre appui sur l’angoisse     

Alors que de nombreux discours actuels ne font plus place à la question de l’angoisse, prônant bien-être, épanouissement personnel ou bien encore réalisation de soi, quelles réponses les institutions offrent-elles au désarroi de l’adolescent ?

Une grande partie des demandes adressées au Point Accueil Écoute Jeunes sont formulées à partir du signifiant angoisse ou anxiété. Certains adolescents viennent témoigner de ce qu’ils sentent dans leur corps, des manifestations qu’ils désignent bien souvent d’angoisse – maux de ventre, tremblements, crise panique, pleurs … –  sans pouvoir en donner une explication ou y trouver une causalité. Le temps de l’adolescence est en effet ce moment particulier où les enjeux relationnels, amicaux et familiaux sont en mouvement, impliquant des remaniements subjectifs parfois délicats à supporter. C’est aussi ce moment où la sexualité se réveille et met en jeu le sujet et son angoisse sur un mode aigu. Souvent l’adolescent se retrouve seul avec cette angoisse. Alors, comment traiter l’angoisse, tout particulièrement à l’adolescence ? Et lorsque la tentative d’y chercher un sens achoppe, quelle peut être la porte d’entrée à un accompagnement de ce qui ne fait pas encore symptôme ?

Qu’est-ce qui s’angoisse chez l’adolescent ? 

Un sentiment d’étrangeté à soi-même surgit chez l’adolescent et lui est énigmatique. L’angoisse peut être tellement forte que la parole glisse : les tentatives d’explications sont vaines, les mots ne suffisent pas. L’adolescent découvre sa fragilité et dans le même temps croit à une libération des contraintes auxquelles il répondait jusqu’alors. La chute des idéaux entraine des questionnements, parfois des errements. Alors comment vont s’organiser ces nouveaux mouvements pulsionnels d’autant plus que les adultes ne savent plus comment s’adresser à l’adolescent?

A cette période, la question de l’identité sexuée est face à un non-savoir. Chaque adolescent doit y trouver une réponse personnelle. On peut dire aussi que la sexualité fait trou c’est-à-dire qu’il n’y a pas de savoir établi pour savoir s’y prendre avec l’autre. C’est pourquoi l’adolescent se retrouve face à sa propre solitude. Les identifications vacillent, les images parentales sont remises en question. L’adulte ne fait plus garantie. Se détacher des parents devient nécessaire mais douloureux.

A notre époque hypermoderne, en réponse, beaucoup d’adolescents se branchent au numérique et de nouvelles formes d’angoisse apparaissent, redoublant les premières. Cette transformation du rapport au monde, virtuel, met entre parenthèse le corps et le sollicite sans cesse du point de vue pulsionnel. De nouveaux modes de relation sont rendus possibles avec la technologie : exhibition de la vie intime, confrontation aux discours sans médiation, regard omniprésent, déchainement de haine… Quels autres lieux de l’intime peuvent-être proposés pour protéger les adolescents d’un monde sans limite où rien ne manque et donc angoisse ?

Prendre appui sur la parole pour répondre à leur souffrance

Procurer à chaque adolescent l’envie de vivre alors que de plus en plus d’exigences excessives se présentent à lui est à manier avec délicatesse. Il s’agit de se positionner contre ces injonctions – toujours plus comme le dit si bien le titre du livre de Léna Situation – sans pour autant s’y opposer d’autant plus que les liens se distendent avec les parents. L’appui sur d’autres adultes semble nécessaire. Pourtant aujourd’hui beaucoup d’adolescents se réfèrent moins à la génération précédente mais davantage à leurs semblables. Ce mécanisme d’identification étouffe un appel à l’aide car il ne donne pas les réponses (comment se séparer des parents, quelle identité sexuée, qu’est-ce que l’amour…). Le symptôme « je suis angoissé » devient même une identité commune qui répond sur un même mode, angoissé, par une contamination du malaise. Il donne l’illusion d’appartenance à un groupe, l’illusion d’un lien social, mais gomme toute singularité !

C’est pourquoi donner place à la parole va permettre à l’adolescent de dire ce qui est en jeu pour lui, ce qu’il éprouve, mettant ainsi, petit à petit à distance certains envahissements, repérant ce dans quoi il est pris. Mais parfois la demande de parole angoisse et isole. Il est donc nécessaire de proposer des lieux où on ne demande pas trop de parler de soi, où on ne convoque pas de front. Dans ces lieux, la conversation peut être un support qui vient mettre un bord à l’indicible. Il s’agit en tant que professionnels d’introduire un travail de formulation dans laquelle l’adolescent pourra trouver une place dans la parole, parmi les autres. Le PAEJ est un lieu pour accueillir ces difficultés, ces questionnements avec la possibilité de dire sans sanction. Le sujet peut alors y loger quelque chose de lui ; c’est une première adresse d’où émergera un circuit langagier. Déposer c’est se séparer de quelque chose auquel on tient pour laisser place à une singularité.

Victor Hugo qualifiait l’adolescence comme « la plus délicate des transitions ». En effet, l’aventure énigmatique qu’est la rencontre des sexes angoisse. D’où l’importance de donner un certain poids à la parole afin que l’angoisse trouve une adresse car celle-ci produit un désarroi lorsque l’adolescent n’en passe pas par la parole. Articulées à la parole, les nouvelles pulsions vont trouver une autre voie. En précisant le conflit intime dans lequel il est, l’adolescent va s’affronter à ce qui le divise, à ce qui est étranger jusque s’orienter dans son désir.

Pour aller plus loin :

Adolescence et espaces numériques, pourquoi une telle passion ? Episode 1– Hugues Renaud

Nouvelles formes de l’angoisse chez l’enfant et l’adolescent – cycle : Psychiatrie, psychanalyse et malaise social

Nouvelles formes d’angoisse à l’erre du numérique – Philippe Lacadée


Delphine Gicquel

psychologue clinicienne au PAEJ Pays de Pontivy