Le rejet de l’école

Les professionnels œuvrant dans les Point Accueil Ecoute Jeunes (PAEJ) de l’association SeSAM Bretagne font le constat d’une augmentation depuis l’an dernier, de jeunes refusant de se rendre à l’école : nous constatons soit un retour impossible après les divers confinements (crise sanitaire), soit un abandon de l’école en cours d’année.

Dans les établissements scolaires, on entend parler de « décrochage scolaire », de « phobie scolaire ».

Est-ce que la crise sanitaire et les nombreux confinements ne sont-ils pas venus ouvrir une brèche pour certains, celle de faire l’impasse d’une immersion sociale quotidienne ?

En effet, le « tout à la maison » rendu possible par les confinements successifs – que ce soit sur le plan du travail, de l’école, du cinéma, du restaurant et même de la fête – ont engendré une modification profonde de nos liens aux autres : tout ce qui hier nécessitait d’aller dehors, d’engager le corps, de se confronter au réel, aux autres, ce qui convoquait notre intelligence, notre sensibilité, nos liens de dépendance, tout cela, les jeunes et leurs parents ont aujourd’hui l’idée que cela pourrait être évité.

En quoi l’école finalement fait-elle encore référence ? C’est à dire autorité dans les apprentissages, puisqu’il y a Google, les tutos, les MOOC, le grand frère, voire les parents ou le CNED ?

Doit-on y voir un refus d’entrer dans les apprentissages, une perte de sens liée au scolaire ? Une question relative à l’immersion sociale qu’impose le fait de se rendre à l’école ?

Est-ce une question de relation aux autres ? Le rejet de l’école est-il du côté du parent ?

Ce que l’on subit à l’école, n’est-il pas rendu plus insupportable par le fait de savoir qu’il existe aujourd’hui des alternatives ?

Il paraît essentiel de se poser la question au regard du jeune et du parent : que vient-il dire à travers son refus d’aller à l’école, ou lorsqu’il exprime son désintérêt, voire son rejet ?

Les causes, nous le savons, sont multiples, et existantes de longue date… Si elles n’ont pas vraiment évolué : peur de grandir, peur des autres, difficultés scolaires, souffrance psychique, conflits familiaux, relation affective et sexuelle… ; la réponse institutionnelle, elle, s’est réellement modifiée : il semble en effet qu’elle traite aujourd’hui en priorité le « Comment », c’est-à-dire « Comment s’adapter à ce rejet de l’école par le jeune ? » ; plutôt que le « Pourquoi ? », c’est-à-dire « Quelle est la cause du rejet de l’école ? ». Cette cause est souvent dissoute dans le signifiant « phobie scolaire », qui est alors traité comme tel, comme un signifiant absolu et revendiqué par certains jeunes ou familles, et parfois sans possibilité d’élaboration.

Réel problème de « traiter » ces questions au sein de l’école, sorte de brassage entre le soin et le pédagogique, qui amène les partenaires à s’ajuster, proposer très vite des adaptations, alors même que la cause du refus de l’école n’est pas identifiée. Le danger étant de vouloir résoudre le problème dans l’agir et faire l’impasse de la mise en mot, de l’élaboration par la parole. Dans les entretiens, nous pouvons faire face à deux situations :

Dans certains cas, cela peut se parler. Le jeune consent à en dire quelque chose, ce temps d’entretien est investi et permet qu’une question se déplie, et se « traite » par la parole.

Mais de manière de plus en plus fréquente, et cette évolution nous inquiète, nous constatons que cela ne s’interroge plus. C’est un état de fait, qui ne se discute pas. L’exemple de Théo :

Une mère prend rendez-vous au PAEJ car son fils refuse d’aller au collège. Elle l’amène  « pour discuter un peu », car elle ne comprend pas ce qui se passe. Il a été suivi par la psychologue scolaire du collège. Un rendez-vous à la Maison des Adolescents est prévu prochainement ; Un accompagnement complémentaire va se mettre en place. Il dit qu’il n’a plus envie d’aller à l’école, « je n’y mettrais plus les pieds ». Il nomme qu’il ne souffre pas de phobie scolaire, ni de harcèlement, « je ne me l’explique pas, il n’y a pas de raison ».

La temporalité est également importante : quelles perspectives quand l’orientation vers le PAEJ est proposée après la rupture avec l’institution scolaire ? L’écoute est, dans ce cas-là, on pourrait dire presque « palliative » (mais avec l’idée des partenaires ou des parents qu’il faudrait que le jeune revienne à l’école).

Constat de notre côté dans ces cas-là, d’une impossibilité de l’élaboration, et voire au pire, de donner consistance à ce refus d’école, comme venant acter sa « sortie » du scolaire, à l’image de Dylan : « Phobie scolaire », le diagnostic est tombé en lien avec un harcèlement de la 6ème à la 4éme, vécu par Dylan. Il « décroche ». Se sent mal avec ce vécu de harcèlement, n’a plus de confiance en lui, doute de tout, souhaite être seul chez lui. Un aménagement au niveau du collège est mis en place. Cela lui convient.

Que s’est-il passé pour Dylan ? De quoi est fait ce dit « harcèlement » ? Voilà autant de questions qui sont nécessaires de traiter et qui peuvent faire l’objet d’une mise en mot au PAEJ, à l’image de Maria, 14 ans :

Maria se dit harcelée depuis la 6ème, je la rencontre en 3ème. « L’école n’est pas faite pour moi ». Elle se sent épiée et dit être régulièrement insultée par ses camarades. Certains élèves sont nommés et ont fait l’objet de convocations. Mais Maria dit que les insultes et moqueries se poursuivent. Impossible pour elle de nouer quelques liens depuis 3 ans. Après plusieurs échanges, Maria me révèle entendre des voix qui lui parlent le soir à la maison. Elle ne se l’explique pas car elle est seule dans sa chambre. Ces voix sont féroces, et lui intiment parfois l’ordre de réaliser des actes cruels. Elle « voit » également des ombres de corps. Les nuits sont agitées, elle dort peu, les cauchemars sont « comme réels ». Ils se déroulent dans sa chambre. En journée, elle est épuisée, ne parvient pas à se concentrer en cours, se sent surveillée dans les couloirs du collège.

Que vaut la notion d’harcèlement dans ce cas ? Lorsque celui-ci renvoie en réalité à une maladie psychique et davantage au sentiment de persécution que peut ressentir un sujet quand la maladie est déclenchée, sans harcèlement réel.

Quelles conséquences si cela n’est pas énoncé et mis en mot ; à la fois pour le jeune en souffrance, comme pour ceux désignés comme harceleurs ? A quoi serviront les possibles aménagements de cours, alors que le soin est dans ce cas la priorité ?

Parfois, ce n’est pas tant le jeune qui rejette l’école, c’est lui qui peut se sentir abandonné, soit par l’école, soit par tout autre chose, par l’institution, sa famille, ses pairs… et cela peut alors décrocher de toute part comme les activités extra scolaires, les passions…

« Depuis toujours », dira une jeune suivie alors qu’elle est en 4ème, elle s’est sentie « larguée » en CP, alors que tous les autres semblaient lire correctement, elle butait sur chaque mot. En 4ème, elle perçoit qu’elle n’a pas les bases, comme la connaissance de ses tables, des règles de grammaire…Elle ne veut plus aller en cours d’autant plus que certains élèves dès la 6ème se sont moqués d’elle lors d’un oral où elle ne réussissait pas à s’exprimer, où elle a failli s’évanouir. Malgré des séances d’orthophonie, qui la soutiennent, tout ce qu’est l’école représente pour elle une peur, une effroyable peur, qui génère un stress permanent même lorsqu’elle est en vacances. L’école devient l’objet phobique dans son entité, ainsi que les cours, les élèves et certains professeurs dont elle se méfie. Elle ne veut plus y aller, ce qui générera des cours par correspondance. Mais cela semble trop tard, elle ne peut plus travailler, elle n’y croit plus, elle ne croit plus en ses capacités d’apprentissage, elle n’a plus de curiosité, d’envie.

Au PAEJ, il s’agit d’accueillir la parole du jeune, mettre en mot le mal-être, prendre le temps de la parole.

Article écrit à plusieurs mains dans le cadre des journées institutionnelles de l’association SeSAM Bretagne les 11 et 12 octobre 2022 à Lorient.

Elise Guyot, éducatrice spécialisée, PAEJ Cap Jeunes du Pays de Guingamp,

Hugues Renaud, psychologue clinicien, PAEJ Morlaix,

Vandine Taillandier, psychologue clinicienne, PAEJ Oxyjeunes du Pays COB,

Pascale Marcade, psychologue clinicienne, PAEJ du Pays de Lorient