Les parents papotent, toute une histoire… Quand un temps collectif hebdomadaire devient le lieu de rencontre de la semaine.

Les parents papotent une action développée par le point écoute parents de l'association SeSAM Bretagne.


De l’envie à la création

En 2021, tout part de discussions informelles dans la rue, devant l’école, dans les couloirs de la Maison Pour Tous. Nouvelle professionnelle sur le quartier de Kervénanec à Lorient, nouvelle fonction au sein du Point Écoute Parents de Lorient et de la Maison Pour Tous, on se rencontre, on échange, on apprend à se connaître. Beaucoup de monde, de visages et de prénoms à retenir, d’histoires de vie à découvrir. Et rapidement, des parents, – des mamans-, qui nous expriment un sentiment de solitude et d’isolement. Il n’y a pas suffisamment de lieux permettant aux parents de se retrouver, de se rencontrer, d’échanger, d’être écoutés, respectés dans leurs choix, se conseiller, sans se sentir juger. « Pendant la grossesse, nous sommes entourés, accompagnés, mais après l’arrivée de bébé, on se sent vite délaissés. »

Oui, c’est vrai, quand on cherche, on ne trouve pas de lieux comme ça. Ou du moins, pas tel que l’on va l’imaginer.

Alors, on échange en équipe, sur où, comment, pourquoi ? On commence à rédiger des fiches actions, et on se dit qu’il faut expérimenter : « les cafés papotes », « les parents discutent », on cherche un nom, on tâtonne. Quel jour ? A quelle heure ? Le matin ? 14h ? 14h30 ? 15h ? On réfléchit en fonction des siestes, des heures d’école. Et en mars 2022, concrétisation du projet avec l’arrivée d’une nouvelle collègue éducatrice au service. Enfin, on ouvre les portes du service un vendredi après-midi sur deux. Mais avec les vacances, les jours fériés, les ponts, on s’y perd. Alors, pour plus de cohérence, en septembre 2022, on décide que « les parents papotent » se tiendront tous les vendredis de 15h à 16h30 en dehors des vacances scolaires, un rituel. Et voilà plus d’un an que ça dure ! 

« Qu’est-ce qu’un rite ? dit le petit prince.  C’est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures »
Le petit Prince, A. De Saint Exupéry


Quand les cartes du monde de chacun.e se rencontrent

Au début, les parents passent la porte, intimidés par ce qu’ils vont trouver derrière. Chaque vendredi c’est la surprise et les mêmes questions ? Combien vont-ils être ? Quelle quantité de café on prépare ? Combien de chaises et de fauteuils on installe ? Au début, ils n’étaient pas nombreux, un, deux, trois, parfois même personne.

Aujourd’hui, nous n’avons que des mamans. Et elles sont de plus en plus nombreuses, souvent les poussettes s’entrechoquent dans un coin de la salle. Parce que oui, nous avions imaginé ce temps uniquement pour les parents, mais la réalité est toute autre. Que ce soit à cause des difficultés de mode de garde ou l’envie de profiter de l’enfant jusqu’à l’entrée à l’école, les mamans viennent, pour certaines, accompagnées de leur enfant en âge préscolaire. Se crée alors un joyeux bazar de jeux, de cris et de rires d’enfants.

Les mamans, quant à elles, s’installent confortablement, et la magie opère. Du café, du thé, du chocolat chaud, et les langues se délient. Les cultures, les pays et les langues se rencontrent. Les histoires s’entremêlent, nous offrant un kaléidoscope multiculturel. Parfois à 6, permettant une certaine intimité, il arrive qu’elles soient une dizaine. Alors nous observons des échanges entre ces femmes. Lorsque dans le quotidien, les idées préconçues et les préjugés créent des barrières, pendant 1h30 les vendredis après-midi, les cartes du monde de chacune se rencontrent.

« Parler […] est la ventilation du cœur »,
Broderies, 2003, Marjane Satrapi

Des mamans qui peut-être ne se seraient jamais croisées ailleurs, échangent sur leur vie, leurs joies et leurs inquiétudes et questionnements. Les langues et les cultures ne font plus obstacles et si besoin, on sort les traducteurs des téléphones, on reformule, on parle moins vite. C’est un effort que chacune tente de faire, un pas vers l’autre. Et quand elles se recroisent sur d’autres temps collectifs ou même dans la rue, certaines prennent le temps de s’arrêter pour discuter et non pas de juste se saluer de loin et passer leur chemin. C’est aussi ça « les parents papotent » : rencontrer l’autre.

« La rencontre crée un espace commun dans lequel chacun ajoute des ingrédients »,
Sophie Braun, Psychanalyste

Alors on propose un lieu sécurisant, qui devient pour beaucoup, « le rendez-vous de la semaine » pour vivre quelque chose de collectif, pour parler français, et s’exprimer sur sa réalité. Certaines arrivent parfois avec des questionnements, qu’elles veulent partager avec les autres et trouver des bouts de solutions, ou simplement des oreilles attentives et compréhensives : « je te comprends, c’est pareil à la maison ! »

Et aujourd’hui ?

Encore aujourd’hui, « les parents papotent » évoluent. Les mamans investissent de plus en plus le moment, s’octroient le droit de prendre des fils de scoubidous, restés là, sur une étagère pour les enfants et jeunes du Point Écoute Parents. Et ensemble elles apprennent ou réapprennent la technique des scoubidous, elles tissent leurs liens. En se replongeant dans cette activité d’enfance, elles parlent. Heureusement que nous sommes garantes du cadre, et de l’heure qui passe, sinon, nombre de fois il aurait fallu courir pour arriver à l’heure de la sortie d’école pour les plus grands !

Le cadre d’ailleurs… parlons-en. Tous les vendredis de 15h à 16h30 hors vacances scolaires. C’est clair et facile à retenir.

Les parents peuvent venir et partir à l’heure souhaitée, il n’y a pas besoin de s’inscrire, ni de se justifier. Les portes leur seront toujours ouvertes. Cette libre-adhésion rassure et permet aux parents d’avoir le choix.

Nous parlons de cet espace de rencontre régulièrement aux partenaires avec lesquels nous travaillons. Ils y voient du sens et n’hésitent plus à y orienter des parents qu’ils accompagnent, ce qui permet à des familles d’oser passer les portes, sans quoi, elles ne l’auraient peut-être jamais fait. Grâce à cela, « les parents papotent » s’ouvrent vers l’extérieur, au-delà du quartier de Kervénanec.

Et, au travers de ce temps collectif, il peut nous arriver de rappeler la possibilité d’avoir un temps individuel, un autre espace, rien que pour soi. On évoque aussi, ce qui existe sur le quartier et les alentours, les ressources proposées par le réseau, qui pourraient répondre à des questionnements ou des problématiques plus précises.

L’année 2023, s’est clôturée par un goûter de Noël, à l’initiative de certaines mamans d’origine kurdes, désirant nous faire découvrir leur cuisine. Nous avons donc eu la chance de déguster des pizzas et gâteaux turcs, et nous avons perçu beaucoup de fierté de la part de ces mamans d’être à l’origine de ce moment convivial du 22 décembre.

Et si nous allions plus loin ensemble ?

En 2024, nous ouvrons les portes des « parents papotent » aux partenaires qui aimeraient venir se présenter autour d’un café. L’idée n’est pas d’« organiser » une activité sur ces moments-là, mais de permettre la rencontre et l’inter connaissance. Être repérés sur le quartier et au-delà, découvrir les personnes et lieux ressources, et pourquoi pas, intégrer, ou créer, de nouveau projets et temps collectifs. Ce sont les professionnel.les qui viennent à la rencontre des parents et non l’inverse. Nous intégrerons aussi des temps de projection de court-métrage que nous appelons « cafés parents », sur les temps « des parents papotent » afin d’amener certaines thématiques sur lesquelles il nous semble pertinent d’échanger. « Les parents papotent », comme n’importe quel autre temps collectif, est en constante évolution. Il nous tient à cœur de toujours répondre aux mieux aux besoins et envies des parents qui passent les portes de SeSAM. Nous ne savons jamais à l’avance quel chemin prendront nos temps collectifs…

« Ne pas savoir » ne veut pas dire prétendre à rester ignorant mais c’est défendre l’idée de rencontrer l’autre. Lorsque le savoir est dominé par les certitudes la possibilité de rencontre n’est plus possible puisque le lieu de l’intime ne peut se mettre en mouvement.
Sarah Nakam

Julia Stenou

Médiatrice socioculturelle et parentalité