Le rendez-vous des familles à Kervénanec : Place aux enfants !
Cette année, l’association SeSAM Bretagne a renouvelé sa participation à la semaine dédiée à la parentalité dans le quartier de Kervénanec. Ce rendez-vous annuel, à l’initiative de La Maison pour Tous, de l’association « J’ai vu un Documentaire », de notre association et de la ville de Lorient, ouvre des espaces d’échange, de réflexion et de convivialité pour les familles. Cet évènement vise à renforcer les liens entre les habitants du quartier tout en créant des moments privilégiés pour partager des expériences entre parents, enfants et professionnels issus de différentes structures et associations.
Le Point Écoute Parents-Enfants (PEP) a proposé cette année une animation autour d’un espace renommé pour l’occasion : « Place aux enfants », le samedi 28 septembre 2024. Cette rue, spécialement aménagée pour l’occasion, a permis aux familles de se déplacer librement et de découvrir différents stands favorisant le jeu, l’expérimentation et la créativité. Au cœur de cette initiative, le PEP s’est installé autour de l’Arbre à paroles, un dispositif inspiré de l’arbre à palabre, symbolisant un lieu de dialogue et de partage.
L’arbre à paroles : outil d’échange et d’expression
L’arbre à palabre, présent dans diverses cultures d’Afrique de l’Ouest (Mali, Sénégal, Gabon) et des Caraïbes (Haïti), est un symbole ancestral d’oralité et de sagesse. Ce lieu emblématique de prise de parole collective, souvent incarné par un baobab majestueux, représente la transmission des savoirs et des valeurs à travers les générations.
Inspiré de cette tradition, l’Arbre à paroles installé par le PEP sur la Place aux enfants a permis de recréer un espace propice à la créativité et aux échanges, où chacun, enfants et parents, était convié à s’exprimer sur le thème : « Être un enfant, c’est… ». Cette idée a émané lors de la réunion de préparation avec les différents partenaires présents. La parole des enfants et des enfants a été récoltée dans différents lieux du quartier (multi-accueil, centres de loisirs, médiathèque, locaux du PEP).
L’arbre à paroles, utilisé lors de cette journée, a été conçu par un habitant investi à la Maison pour Tous, notamment dans l’atelier menuiserie. Nous avons suivi l’évolution et les différentes étapes de cette belle œuvre en bois, conçue exclusivement pour le jour de la manifestation.
Puis, le jour de l’événement, un atelier créatif, mis en place autour de l’Arbre à paroles, a pris la forme d’une œuvre éphémère, matérialisée par des fils tendus entre cet arbre symbolique et les autres arbres de la rue. Ces fils représentaient les liens et les attaches indispensables entre les personnes et invitaient parents et enfants à participer à la création d’une œuvre collective, stimulant leur imagination et leur créativité.
Écrire, dessiner, exprimer avec des mots ce que peut être pour chacun « être un enfant ». Mettre à disposition des feuilles vierges ou déjà écrites (des mots déposés par l’inspiration d’une autre personne), des feutres, des autocollants et beaucoup de paillettes paraît assez simple en soi, mais cela offre des possibilités, stimule les échanges et la création, et donne ainsi l’occasion de se rencontrer autour de ce trait commun : « être un enfant ».
Les enfants cherchent leurs mots, nous interrogent, partent du support ou bien des mots ou dessins qu’ils souhaitent voir inscrits dessus. Ils se regroupent autour de tables avec tout le matériel à disposition et partagent entre eux, avec nous, leurs propositions et leurs expériences. Ils viennent en petits groupes de copains, de membres d’une même famille, parfois accompagnés des parents. Les parents sont invités à en dire quelque chose aussi, et certains imaginent comment cet « être enfant » pourrait prendre forme pour eux aujourd’hui : se reposer, ne plus avoir de soucis… Ils viennent eux aussi inscrire leurs mots sur les feuilles.
Nous les invitons également à faire avec leur enfant, à soutenir ce mouvement de création chez leur enfant : s’asseoir à côté, écouter ses mots et l’aider à les inscrire, découper… Des parents s’autorisent petit à petit et s’essayent à entrer dans cet atelier éphémère. Être un enfant, c’est « jouer », « faire des dessins », « rêver », « faire des bêtises », « être joyeux », « c’est rester petit », « une bulle d’amour » …
La création comme support à l’expression
La dynamique créative autour de cet atelier montre comment l’enfant, en participant à une activité artistique, tisse une nouvelle forme de relation, tant avec les autres enfants qu’avec les adultes présents. Cette démarche, qui repose sur l’engagement dans une activité créative à la fois verbale et non verbale, favorise l’expression de la parole et des émotions de manière ludique et accessible. Comme le formulait déjà Luquet en 1927, « le dessin est d’abord un jeu, qui, sous ses apparences désintéressées, a pour finalité de proposer des exercices qui « forgent l’organisme psychique de l’enfant ». Dans cet atelier, l’enfant ou le parent n’a pas nécessairement besoin de compétences graphiques ou artistiques particulières, mais simplement d’un désir de s’engager et d’expérimenter.
Pour le service, la création par l’écriture ou le dessin offre des possibilités pour l’enfant, de projeter ses émotions et sa vision du monde, transformant ainsi l’atelier en un véritable lieu de rencontre entre ses expériences intérieures et le monde extérieur. Nous sommes parties de la prise en compte de l’importance du dessin dans l’expression et le développement psychologique de l’enfant avec l’idée que le dessin est une forme de langage permettant aux enfants d’exprimer leurs fantasmes, désirs et peurs.
Les enfants choisissent de dessiner et/ou d’écrire, guidés par leur propre désir, leurs idées, ou ce qui leur paraît plus accessible. De nombreux enfants viennent dessiner à partir des mots déjà écrits, comme source d’inspiration possible. Françoise DOLTO, dans son ouvrage « L’enfant du miroir » relevait : « On ne dessine pas, on se dessine et l’on se voit électivement dans une des parties du dessin… on ne raconte pas un dessin, c’est l’enfant lui-même qui se raconte à travers le dessin. »
Ce moment de création permet un engagement de la part de l’enfant mais de manière moins orientée qu’à l’école, là où il peut saisir une attente de la part de l’adulte. Nous avons observé d’autres enfants inscrivant sur les feuilles et organisant leur pensée à partir du thème. Comme le décrit dans cet article, Marie-Alice DU PASQUIER, psychanalyste : « Dans cette action, le corps de l’enfant est totalement impliqué. Écrire, c’est parler avec sa main […]Cette main a gribouillé, joué sur la feuille, dessiné, longtemps avant d’être confrontée à l’inscription des lettres. Elle a déjà une histoire, celle du lien de l’enfant avec sa trace. »
Des ateliers de création pour favoriser l’aller vers
Cet atelier créatif organisé par le service, dans un cadre convivial et ouvert à tous, permet de créer un espace où chacun peut donner forme à ce qu’il souhaite exprimer, de manière non limitante, à travers des possibilités d’expression verbale et non verbale. Les professionnelles présentes, psychologue et éducatrice spécialisée, viennent à la rencontre des familles dans un espace différent de la relation d’accompagnement habituelle. Elles contribuent, par leur présence active au sein de l’atelier, à favoriser l’émergence d’une parole, d’un lien à l’autre et à soutenir le désir de l’enfant et du parent.
L’œuvre éphémère émerge, à la fin de cette journée, autour de l’Arbre à paroles avec des fils tendus où sont à présent accrochées, par des pinces, ces créations singulières. Pour le service, la proposition de participer à notre atelier permettait, de soutenir les liens entre parents et enfants, mais aussi d’offrir un espace favorisant l’émergence de nouvelles modalités d’accompagnement des familles.
Et nous pouvions dire à la fin de la journée : être un enfant c’est « créer » …
L’initiative « Place aux enfants » et l’implication du service dans cette journée illustrent parfaitement comment l’art et la créativité peuvent être des supports précieux dans la relation entre les familles et les professionnels, tout en s’inscrivant pleinement dans les missions du Point Ecoute Parents, qui vise à soutenir la parentalité et à favoriser les échanges.
Marie GASPARINI
Sophie TALIGOT
Références :
G.-H. Luquet et le dessin enfantin, article de Bernard GIRAUD, Serge SOYEZ et Henry THOUMY, Bulletin de Psychologie, 1971.
L’enfant et la lettre : pourquoi mal écrire ? Marie-Alice DU PASQUIER, Carnet psy, n°137, juillet 2009.
L’enfant du miroir, F. DOLTO et J.-D. NASIO, Rivages, 1987