Le jeu comme outil de médiation dans l’accompagnement éducatif

Jeu éducatif

Les Point Accueil et Ecoute Jeune (PAEJ) de l’association Sesam Bretagne proposent des modalités d’écoute collective, en plus d’une écoute individuelle. Ces actions s’élaborent et sont animées avec les partenaires du territoire et sont de véritables leviers pour agir collectivement en prévention et favoriser le lien social.

Comment nous travaillons au PAEJ du Pays de Morlaix ?

Le principe de la libre adhésion, c’est une valeur prônée par le PAEJ.
Les règles de fonctionnement du groupe sont définies avec les jeunes au début de la séance afin qu’ils y adhèrent pleinement.
Lors des actions collectives de prévention que j’anime, je commence toujours par la définition des règles de fonctionnement par le groupe lui-même, après avoir fait un jeu d’inter-connaissance afin d’établir une confiance mutuelle entre les membres du groupe. Je me prête toujours au jeu également, afin d’instaurer une relation « horizontale » et ainsi libérer la parole. Le fait d’être tous sur le même plan, nous met en condition de réciprocité, d’après P. Gaberan «La réciprocité est cette disposition dans l’instant qui fait que soi et l’autre ne sont plus placés dans un rapport hiérarchique imposé par les règles sociales ; ils sont installés sur un même plan en raison d’une intimité partagée »[1].
Le fait de co-animer en binôme avec un partenaire jeunesse du territoire ou un collègue, nous offre plus de souplesse. On peut participer au débat, écouter, observer, rester attentif au maintien du cadre. On peut également croiser les regards et les pratiques. Cela me permet de « jouer » entre une vision d’ensemble et une vision de détail. Co-animer est nécessaire afin d’assurer un cadre sécurisant, on ne sait pas ce que les échanges peuvent provoquer chez certains jeunes, ils peuvent potentiellement réveiller des vécus douloureux pour certains. Le fait d’être deux, nous permet de prendre en compte cette souffrance dès qu’elle émerge, un des professionnel peut proposer au jeune de sortir pour un échange duel s’il le souhaite et l’autre professionnel pourra continuer l’animation avec le reste du groupe. De ce fait la confidentialité des situations individuelles est respectée.

Afin de respecter l’anonymat, tous les prénoms ont été modifiés dans la suite de cet article

Le jeu, un outil pour développer les compétences psychosociales

Le jeu est l’occasion de développer les Compétences PsychoSociales (CPS) et ainsi travailler sur l’estime de soi et la confiance en soi
Les CPS sont, selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « La capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne […] et à maintenir un état de bien-être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement »[2].
« Le développement des compétences psychosociales (CPS) représente aujourd’hui un enjeu majeur au sein de la santé publique, de l’éducation et de l’action sociale. Facteurs clés de la santé, du bien- être et de la réussite éducative et sociale, les CPS sont ainsi à la croisée de la prévention et de la promotion de la santé et au cœur des enjeux sanitaires, éducatifs et sociaux[3] ».

Les CPS, au nombre de 10, sont représentées en 5 couples :

·Avoir une pensée créative, avoir une pensée critique

·Savoir communiquer efficacement, être habile dans les relations interpersonnelles

·Avoir conscience de soi, avoir de l’empathie pour les autres

·Savoir résoudre des problèmes et savoir prendre des décisions

·Savoir gérer son stress, savoir gérer ses émotions

Le jeu un support à l’échange

J’utilise toujours des jeux lors des actions collectives comme support à l’échange et pour faciliter la prise de parole de chacun.
Questions d'usagesPar exemple, ce jour-là, le thème choisi par les jeunes porte sur les usages numériques. On utilise pour cela le jeu de carte « Internet et moi : Questions d’usage(s)? ». Cela nous permet d’ouvrir le débat et d’apprendre à communiquer ensemble et à confronter ses points de vue tout en apprenant à développer son empathie. Je joue bien sûr le jeu et répond aussi aux questions. Ce jour-là par exemple, Lola pioche une carte disant « On entend souvent : Les jeunes, c’est la génération zapping, que penses-tu de cette affirmation ? Lola répond qu’elle n’est pas d’accord, elle argumente en disant qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même « panier » et qu’il n’y a pas que les jeunes qui zappent, certains adultes zappent aussi et d’ailleurs c’est quoi être adulte ? »

Tout le monde prend la parole tour à tour et la conversation passe d’un sujet à l’autre : le consentement, la soumission, le respect ou l’irrespect, le rapport de domination entre les adultes et les jeunes, la pornographie, les relations homme/femme. Je suis juste là pour « représenter » le cadre et ainsi offrir un lieu sécurisant où la parole peut se libérer.

Le jeu pour aborder la notion d’échec

À travers les jeux (extérieurs, de quilles ou de société), nous pouvons également nous confronter à un groupe, être en compétition ou bien coopérer. Les règles du jeu font également référence au bien vivre ensemble et aux règles de la société.

Les jeux me permettent de mettre en lumière les compétences des personnes que j’accompagne et ainsi de les valoriser.

Lors d’une action de prévention collective, à la demande de Damien nous constituons une équipe de filles contre une équipe de garçons. Je trouve cela intéressant qu’il introduise la notion de compétition significative d’une envie de réussir et cela me permet également de travailler sur la notion d’échec. « Parce que nous vivons dans un pays où la culture de l’erreur est trop peu développée, nous confondons « avoir raté » et « être un raté » […] S’identifier à son échec , c’est se dévaloriser jusqu’à se laisser gagner par le sentiment de la honte ou de l’humiliation»[4]. Il me semble important d’aborder cette notion avec eux en leur nommant la phrase de Nelson Mandela « Je ne perds jamais, je gagne ou j’apprends », avoir cette citation en tête peut également permettre d’oser une prise de risque, et donc d’accepter la possibilité d’échouer (en la rattachant à une expérimentation qui nous fera grandir, évoluer), mais peut-être aussi de réussir.

Le jeu comme libérateur de parole

Exemple d’une journée temps fort avec un groupe de jeune, la journée s’est déroulée sur plusieurs temps. Nous avons débuté la journée en utilisant des techniques d’animations (tempête de cerveau, boule de neige) et les cartes du jeu de société « Dixit ®» afin de libérer la parole des jeunes.

Le jeu « Dixit ® » est composé de cartes illustrées, ces cartes permettent de faire travailler son imaginaire et de le confronter à celui des autres. Sous forme ludique, ce jeu permet d’échanger sur nos perceptions et nos représentations. Cela favorise la confrontation de notre vision des cartes avec celles des autres participants et facilite la rencontre en se découvrant les uns et les autres. Il aide également à mettre en mots ses émotions, ressentis.

J’ai placé des cartes du jeu « Dixit ® » sur la table, nous devions tous en choisir une, puis expliquer pourquoi nous avions choisi cette carte.

Cynthia a choisi une carte qui représente un enfant regardant vers le bas, avec dans sa main gauche un lance pierre, dos à lui se trouve un nounours qui pleure (image ci-dessous).

Elle nous explique qu’elle a choisi cette carte car pour elle cela représente la fin de la jeunesse et le début de la vie adulte. Cynthia se livre, elle a 17 ans et ses 18 ans arrive rapidement, elle nous fait part de ses angoisses et de ses peurs. Cela nous montre bien le pouvoir du jeu comme libérateur de parole, la carte choisie est en lien avec la représentation que se fait Cynthia du passage à la majorité, « une représentation en ce qu’elle est éminemment subjective peut ne pas être partagée, elle peut être nuancée et discutée mais ne jamais être fausse […]. Libérée du poids de la véracité et interpellant l’imaginaire comme le sensible, la métaphore constitue un langage opportun par lequel il est possible de parler de soi sans vraiment parler de soi. »[5]. Cela est d’autant plus prégnant au moment de l’adolescence où les transformations physique, psychique et sociale bouleversent son rapport à soi, aux autres et au monde. Le fait de passer par ce média, nous a permis d’échanger sur les représentations de Cynthia. Mon rôle ici a été comme dans un entretien de reformuler ses propos, de la rassurer, de poser des questions ouvertes et de laisser vivre des silences pour lui laisser le temps du grandir, et qu’elle puisse conscientiser. En effet à travers cette discussion Cynthia semble s’être rendu compte qu’elle avait intégré et interprété les propos et les valeurs de ses parents, ce qui était source d’angoisse en l’avenir pour elle. Cynthia a pu échanger sur ses représentations au sein du groupe de pairs également, cela participe à la construction de son identité en devenir, elle a pu cueillir selon ses besoins, ses attentes ce qui est susceptible de l’aider, ses pairs ont pu lui redonner confiance, ils ont pu partager leurs doutes, leurs peurs et leurs maux avec nous. Nous voyons bien ici la force du groupe auquel on peut s’identifier, surtout au moment de l’adolescence. Cela a permis durant la matinée d’échanger sur des choses intimes et de mettre en mot des émotions.

On peut à travers ces exemples se rendre compte de l’importance des jeux comme outil de médiation à la relation éducative. Comment à travers une activité (jeux, atelier d’écriture, visite d’un lieu culturel, immersion dans la nature) cela me permet « d’être avec » et d’entrevoir l’Autre dans toute sa globalité, ses forces et ses faiblesses. J’utilise au quotidien des activités qui font tiers dans la relation pour faciliter la rencontre, libérer la parole, changer les représentations ou bien créer du débat.

[1]-Philippe Gaberan, Oser le verbe aimer en éducation spécialisée. La relation éducative 2. Edition Erès, 2016.P. 267

[2]-https://www.lecrips-idf.net/competences-psychosociales

[3]-Les compétences psychosociales : un référentiel pour un déploiement auprès des enfants et des jeunes. Synthèse de l’état des connaissances scientifiques et théoriques réalisé en 2021. Santé publique France. Février 2022.

[4]-Charles Pépin, « Les vertus de l’échec ». Allary éditions,2016. P .91-92

[5]-Mousnier E. et al., « Les cartes dixit comme support aux représentations métaphoriques : un média d’intervention systémique sous mandat », thérapie familiale, 37:363-386, 2016.

Nolwenn LE BAHER

Monitrice-Educatrice, PAEJ du Pays de Morlaix