A l’épreuve des stéréotypes de genre

En avril 2024, l’équipe du PAEJ du Pays de Pontivy reçoit une sollicitation d’une professeure d’un lycée agricole. Elle souhaite notre intervention auprès d’une classe de 1ère technologique en Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant (STAV) durant la semaine d’Éducation à la Santé et au Développement Durable (ESDD). Les élèves scolarisés, dans cette classe, sont âgés de 16 à 17 ans. La classe est particulièrement mixte puisque le nombre de filles et de garçons est presque similaire. Nous sommes déjà intervenues dans l’établissement au cours des deux dernières années pour des actions collectives sur les thématiques de l’homophobie et du consentement.

Faisant le constat « de propos entendus dans le couloir », de la présence de discours genrés, sexistes et homophobes, la professeure souhaite établir un temps pour échanger autour de ces notions avec ses élèves. Ce constat est partagé par la référente Parcours d’Excellence de Persévérance Scolaire (PEPS). Toutes deux se questionnent sur la normalisation et la banalisation de ces propos et se confrontent à des difficultés pour les réguler.

Nous proposons une action collective auprès de 13 élèves avec pour axe d’entrée les stéréotypes de genre, l’objectif étant d’ouvrir un espace de parole et d’élaboration sur ce sujet. « Qu’est-ce que c’est ? », « Où sont les stéréotypes de genre ? », « Quelles conséquences ont-ils ? ».

Une action construite en 4 temps


Le cadre de confort

Après un tour de présentation mutuelle, nous apportons un soin particulier à définir un cadre de fonctionnement qui soit confortable, en interrogeant les jeunes sur ce qui faciliterait leur expression. « Qu’est-ce qui est important pour vous, pour que vous vous sentiez libre et à l’aise pour vous exprimer ? ». Il est important de le construire ensemble afin de baliser l’intervention et de pouvoir s’y référer si nécessaire tout au long des échanges. Nous sommes toutes et tous garants du cadre, qui est un socle pour permettre une certaine élaboration et l’expression de différentes réflexions. Les jeunes sont invité.e.s à en être responsable et à s’y référer.

Nous soutenons leurs propositions évoquant le « respect de la parole », le « non-jugement », « l’écoute », le fait « d’oser parler », de « ne pas discriminer ». Nous précisons la notion de confidentialité des échanges, effective « ici et maintenant » mais aussi lorsque l’atelier sera terminé. La thématique pouvant faire écho à des évènements et des émotions personnelles, nous soulignons la possibilité de sortir de la salle si besoin et de proposer un temps individuel ensuite.

Plutôt fille, plutôt gars, ou… Le cadre de confiance

A travers l’outil ludique “Plutôt fille, plutôt gars, ou…”, l’idée de cette première partie est de constater les stéréotypes en les activant et de laisser s’exprimer les contradictions associées.

Les élèves viennent apposer, en fonction de leurs stéréotypes, une cinquantaine d’étiquettes sur une échelle dessinée au tableau avec d’un côté le symbole féminin, de l’autre le symbole masculin. Ces étiquettes contiennent des caractéristiques, actions, et émotions tels que l’autorité, la fragilité, le courage, exprimer ses émotions, faire plaisir, danser, regarder un match de foot… Une fois apposée au tableau, nous en choisissons quelques-unes pour faire émerger un débat.

Trois étiquettes sont intentionnellement placées hors tableau par un jeune qui vient exprimer en le marquant spatialement que la peur et la jalousie seraient exclusivement féminin, alors que prendre des risques serait exclusivement masculin. Certaines étiquettes sont positionnées au milieu comme pour exprimer une certaine nuance.

Dans la contradiction les propos se nuancent, évoluent, les étiquettes changent de place sur le tableau. Il y a en effet des désaccords, « j’aurais plutôt mis ça au milieu », nous pouvons entendre que les femmes aussi prennent des risques et les hommes aussi font attention à leur look. Finalement la plupart partagent les stéréotypes mais le débat les amène à confronter leur propos à ce qu’ils constatent dans la réalité. Tous ne se vérifient pas.

D’autres étiquettes font émerger des questionnements plus profonds. Ainsi faire plaisir et dire non amène à réfléchir au rapport homme-femme et à la notion de consentement. Une jeune fille exprime que la femme ferait plaisir à l’homme pour « éviter sa mauvaise humeur », une autre dira « une fille peut avoir plus de mal à dire non car elle peut avoir peur de la réaction de l’homme ».

Une élève parle des normes et des complexes que la comparaison à cette norme peut engendrer, elle met ainsi en évidence les phénomènes de rejet et de discrimination. Elle resitue à plusieurs reprises la considération de la place de la femme dans le temps et l’histoire.

Après l’activation des stéréotypes de genre, notre action vient interroger les espaces qui les véhiculent, « Où trouve-t-on les stéréotypes ? »

Ce qui se joue dans la publicité

Cette seconde partie ouvre sur la mise en image des stéréotypes dans la société à travers la publicité. Les jeunes sont invités à réagir au sujet de plusieurs spots publicitaires stéréotypés parues ces dernières années. « A qui s’adresse la publicité ? », « qu’est-ce qu’elle montre », « quel est son message ? », « qu’est-ce qu’elle sous-entend ? ». 

Sont analysés non seulement le message écrit, la forme, l’image, les couleurs choisies, les postures des personnes présentes mais aussi ce que cela vient provoquer en eux.elles, ce qu’ils.elles ressentent.

Au sujet de la publicité ci-dessus, un jeune s’écrit « si ça se trouve, elle est consentante ». Nous interrogeons pourquoi cette question se pose d’emblée, qu’est-ce que vient cultiver, légitimer, normaliser cette publicité ?

Les jeunes s’interrogent, partagent leurs réflexions mais s’agacent aussi des stéréotypes associés à leur genre d’appartenance. « On a l’air agressif », « on se sent inférieures ». L’échange s’élargit sur le monde du cinéma, où les personnages sont stéréotypés « les hommes ont des rôles de personnes fortes ».

En échangeant sur cette affiche, où l’on voit un homme « ambitieux » avec un ordinateur, en opposition à une femme « rêveuse » avec un livre, les jeunes réagissent ainsi « les couleurs à gauche sentent l’argent, alors que l’autre a des couleurs douces et tranquilles  ».

De cette réflexion sur le rôle des médias, émerge la « gymnastique » nécessaire pour parvenir à mettre à distance les images, pour réfléchir au message passé et nous amène au cours de la discussion à évoquer la notion d’esprit critique.

Alors quelles conséquences ont ces stéréotypes

Des conséquences

Nous nous attardons à reconnaître un processus cognitif ordinaire, qui est celui de classer les informations pour nous simplifier l’existence, le risque est de trop ranger et ainsi d’emprisonner les pensées dans des cases simplistes. Ces cases correspondent aux stéréotypes qui génèrent des préjugés, eux même amenant à la discrimination.

Les élèves mettent en évidence que les filles : « croient moins en elles », « osent moins dire non ». La baisse, voire l’absence de confiance en soi est évoquée ; la confiance est stéréotypée masculine.

Nous entendons également que c’est moins facile pour les garçons de s’exprimer au sein d’un groupe de pairs que pour les filles « c’est pas la même écoute », « peur d’être jugé », « peur d’être exclu ». La notion de norme dans un groupe est ainsi mise en exergue.

Les stéréotypes de genre engendrent des attentes socialement construites d’être fort et de s’inscrire dans la compétition pour un homme et d’être douce et attentive pour une femme. Cette norme sous-jacente peut impacter la construction identitaire, créer des complexes et un désaccord avec son identité profonde, ainsi que des situations d’exclusion.

Est aussi abordé le fait que ces stéréotypes peuvent cantonner les femmes et les hommes dans des rôles et fonctions déterminés par leur sexe et qu’ils peuvent impacter les relations de couple en légitimant des rapports de domination et de soumission.

Deux élèves concluent en ces termes, « je n’avais jamais regardé les pubs comme ça », « on s’en rend plus compte ».

Ce que chacun.e en retire…

Les retours recueillis sur post-it en fin de séance vont du simple « c’est bien » à des propos plus approfondis comme « j’ai beaucoup aimé ce moment nous permettant de nous faire comprendre les conséquences des stéréotypes », « Bien, permet de voir les préjugés dans la société qui persistent » – « Beaucoup d’échange, c’est super bien ».  Un autre dira aussi « Mieux que je m’attendais ». Parions que cette conversation ait des effets dans leur quotidien !

La professeure, restée discrète bien qu’attentive à ce qui se dit, nomme aussi prendre conscience qu’elle ne regarde plus les publicités en portant attention au message véhiculé et que le sujet des stéréotypes de genre est transversal, ouvrant sur de nombreuses réflexions. Un travail est en cours avec l’établissement pour développer un projet plus approfondi, avec plusieurs ateliers au cours de l’année scolaire qui s’articulerait aussi avec les matières enseignées (histoire, français, philosophie, etc.).

Alors sommes-nous vraiment libres dans nos choix d’existence ?

Perrine SAUVEE

psychologue clinicienne, PAEJ du Pays de Pontivy

Elodie KERAMBRUN

éducatrice spécialisée, PAEJ du Pays de Pontivy