A quoi la recherche d’un autodiagnostic vient-elle répondre à l’adolescence ?
Les 11 et 12 octobre, l’ensemble des professionnels de l’association SeSAM Bretagne, exerçant leurs missions au sein d’un Point Accueil Ecoute Jeunes et du Point Ecoute Parents, se sont réunis à Lorient dans le cadre de deux journées institutionnelles. Après avoir sollicité les équipes pour connaître les problématiques qui leur semblaient marquantes sur leur territoire d’intervention, 3 « préoccupations » ont été identifiées et ont fait l’objet d’une étude lors de la première journée institutionnelle : le rejet de l’école, l’autodiagnostic, l’engagement.
Les travaux finalisés ont été présentés dans les rapports d’activités de tous les services associatifs. Nous vous proposons de prendre connaissance, sous une forme synthétique, de la réflexion menée autour de la question de l’autodiagnostic à l’adolescence.
L’autodiagnostic, de quoi parle-ton ?
Étymologiquement, « diagnostic » vient du grec diagnôstikos : capable de discerner. L’auto-diagnotic est lui définit comme le « diagnostic de sa maladie, réelle ou supposée, effectué par le sujet lui-même en dehors d’un avis médical ». L’autodiagnostic est donc l’action de discerner soi-même une affection, une difficulté, une situation…
De tout temps, l’humain a éprouvé le besoin de trier, de classer, de nommer. Il est probable que cette manière d’agir, traduisant des velléités de maîtrise, fasse écho à un mécanisme défensif à l’égard de l’angoisse suscitée par l’autre ainsi que par l’inconnu et l’énigmatique. La question du diagnostic en psychiatrie infanto-juvénile
Une réponse au vacillement du temps de l’adolescence ?
Les enjeux et mouvements psychiques à l’adolescence – moment d’incertitude, de séparation, de solitude, d’angoisse, de rencontres… – pousse vers une recherche identitaire. Ce qui lui tombe dessus – « je ne sais pas ce qui m’est arrivé » – ne peut pas se nommer.
Lou – Tome 3 – Le cimetière des autobus – Julien Neel
Cette recherche d’un savoir est donc inhérente à l’adolescence. Elle circule autrement avec les réseaux sociaux, souvent de manière illimitée. Il existe en effet pléthore de vidéos de quelques secondes qui expliquent comment on peut s’auto-diagnostiquer : haut-potentiel, hyper sensible, anorexique…
Dans la tête de l’hypersensible : sens poussé de l’analyse, tendance à l’interprétation, imagination florissante, remises en question fréquentes, profonde conscience des choses, visualisation puissance (passé, futur). @alexandra_coach_hypersensible
Ces versions universelles, généralistes, ne disent pas grand-chose de la subjectivité. Pour autant une identité se situe du côté du « même », voire peut chercher à faire communauté, et cela peut avoir une fonction pour le sujet. Mais DYS, TDAH, HPI, ne sont que des lettres ; l’enfant, l’adolescent peut être réduit à ces lettres qui ne font pas place à la difficulté ou à la souffrance. Pourtant un enfant dit « dys » peut se sentir rejeté, manquer de confiance en lui, rencontrer des difficultés avec l’échec…
Comment chacun fait donc face à cet impossible à nommer à l’adolescence ? L’affirmation, la reconnaissance, une quête de l’identité permet à l’adolescent d’avoir une place auprès de ses pairs. L’autodétermination peut de ce fait être une réponse à ce vacillement, à ce qui ne peut être nommé – angoisse et énigme – avec l’affirmation « je suis ce que je dis ». Est-ce que la vérité est plus acceptable lorsqu’elle est dite par soi-même ?
Ces autodiagnostics sont-ils une solution ? Une tentative de nommer ce qui peut être énigmatique ? Peut-être ne faut-il pas y toucher, respecter cela car cela donne une assise ? Est-ce une réponse face à un vide subjectif ? Est-il bénéfique, apaisant ? Ou bien pousse-t-il vers l’isolement ?
Faire une place à la parole, à la question
Plusieurs rencontres avec des adolescents reçus dans nos PAEJ nous ont fait apercevoir l’usage de ces énoncés qui noient souvent l’énonciation. Bien que ces signifiants, fixes, expliqueraient tout et justifient certaines manifestations, il est nécessaire de ne pas s’arrêter là. En proposant « un pas de côté », autre chose peut parfois advenir subjectivement.
La question du genre et de la sexualité sont aussi traversées par ce mouvement d’autodétermination. Y a-t-il toujours besoin d’une case pour dire cela ? Faut-il mettre des mots sur toutes les différences afin de permettre l’intégration dans les normes sociétales ? D’ailleurs que veulent dire ces nouveaux mots ? Quel usage en fait donc chaque jeune ? Il est en effet important que les jeunes puissent dire à quoi le signifiant leur sert, qu’est-ce qu’ils entendent derrière le mot qui n’est pas la définition du dictionnaire. Le signifiant est en effet plurivoque. Il s’agit d’ouvrir la question, de laisser place à l’interrogation plutôt que de répondre par un savoir clos, fermé afin d’aller vers une façon de voir différente, autre qui s’articule dans le lien social.
Dans l’accueil fait dans nos PAEJ, nous veillons à donner une place à la parole et au temps singulier plutôt que d’objectiver un mal-être, nous visons à ce que le jeune s’en rende responsable, qu’il prenne la question à bras le corps. Il ne s’agit pas d’évacuer l’angoisse car le désir y est intimement lié. Il est important de laisser chercher le jeune, d’introduire un écart avec ces signifiants modernes car le sujet ne peut pas équivaloir à une identité.
C’est parce qu’il n’y a pas une identité que le sujet a recours à des identifications multiples. Le Petit Hans, une institution bilingue arabe-hébreu d’orientation psychanalytique en Israël.
Un autodiagnostic peut donc être une tentative de solution à quelque chose qui peut laisser le sujet perplexe. A quoi vient-il répondre ? Comment remettre l’autodiagnostic au champ de l’autre ? Est-ce que cela peut se dialectiser ? Ou si l’autodiagnostic peut répondre à un vide structurel, celui-ci peut-il être assoupli afin de ne pas geler une réflexion, une recherche, un mouvement ? Voilà autant de questions qui restent au cœur de nos interventions pour accueillir avec prudence et repérer l’usage que fait un sujet d’un autodiagnostic, toujours à respecter, parfois à déranger.
Article écrit à plusieurs mains avec :
– Mme Sophie Taligot, éducatrice spécialisée au PAEJ & PEP du Pays de Lorient
– Delphine Gicquel, psychologue clinicienne au PAEJ Pays de Pontivy
– Nadège Salaun, éducatrice spécialisée au PAEJ Morlaix
– Milena Metchev, psychologue clinicienne au PEP au Pays de Lorient
– David Cochen, éducateur spécialisé au PAEJ Oxyjeunes du Pays COB
– Chloé Le Faucheur, psychologue clinicienne au PAEJ Cap Jeunes du Pays de Guingamp
– Nolwenn Le Baher, monitrice éducatrice au PAEJ du Pays de Morlaix.