Et si on se rencontrait…
Elise Guyot, Éducatrice Spécialisée et Chloé le Faucheur Psychologue clinicienne sur le PAEJ CAP Jeunes à Guingamp ont expérimenté une nouvelle modalité d’accompagnement sur le service. Prenant appui sur le collectif , il s’agit de venir soutenir et accompagner un petit groupe de jeunes dans les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur lien à l’autre. Elles en font ici le récit, chacune de leur place.
Ils s’appellent Elodie, Maurine, Marion, Géraldine et Thomas. Ils ont entre 14 et 23 ans et se rencontrent pour la première fois ce jour-là. Ces 5 jeunes qui se retrouvent ensemble, en notre présence, ont pour point commun d’être accompagnés individuellement par CAP Jeunes depuis plusieurs mois maintenant.
Cette rencontre est l’aboutissement de plusieurs mois de travail et de réflexion de l’équipe sur « comment proposer aux jeunes une autre modalité d’accompagnement sur le PAEJ CAP Jeunes que l’écoute et l’accompagnement individuel ». En effet, ces jeunes présentent dans leur symptomatologie quelque chose de commun et qui tourne autour d’une difficulté plus ou moins grande et/ou envahissante d’aller à la rencontre de l’autre rendant compliquées voire impossibles les activités sociales quotidiennes.
C’est donc le pari fait aujourd’hui par le PAEJ CAP Jeunes : éprouver à leur côté ce qui fait difficulté, leur proposer un cadre suffisamment contenant et sécurisant leur permettant de prendre appui sur la relation construite avec le service et/ou avec la professionnelle qui l’accompagne pour faire ce saut que représente pour eux de se retrouver au sein d’un petit collectif et de s’essayer à la rencontre.
Lorsque nous leur avons proposé ce temps de groupe, certains ont pu dire qu’ils se sentaient « choisis » ce qui était déjà une prémices de ce qui allait se jouer pour eux pendant ces trois rencontres : le sentiment d’avoir une place au sein de ce groupe.
D’abord intimidés ils font connaissance ce jour-là, en retrait ou de manière plus volubile chacun s’essaye à répondre aux sollicitations et tente de relancer la conversation. Notre rôle à cet endroit est de soutenir cette rencontre, relancer la conversation à partir de sujets qui ne convoquent pas l’autre directement : l’odeur du thé, les préférences alimentaires etc. Savoir intervenir, pour ne pas laisser les jeunes dans cette angoisse que peut représenter le silence et le vide pour certains, et savoir s’effacer lorsque les échanges reprennent : voilà le jeu d’équilibriste que nous essayons d’adopter ce jour-là.
Border, sécuriser, contenir, faire tiers. Être témoin de ce qui est possible, et de ce qui ne l’est pas…
Déjà les échanges prennent une tournure plus personnelle, voir intime, ils se « retrouvent » sur des ressentis qu’ils ont en commun ou des expériences similaires souvent liées à l’objet même de la création de ce groupe : comment l’autre ou le collectif peut être parfois « énigmatique », « anxiogène » voir « angoissant ». Vient dans un second temps la projection de ce que nous allons faire ensemble puisque le choix a été fait ici d’utiliser une médiation servant d’objet à la rencontre. En effet, nous avons prévu de nous retrouver ensemble la semaine suivante, le soir, pour aller voir un spectacle de théâtre tous ensemble. La logistique et l’organisation de ce second temps, là aussi, créent des prétextes pour parler de soi.
A la suite de cette pièce de théâtre un troisième temps est organisé, de nouveau dans les locaux du PAEJ CAP Jeunes. Nous nous retrouvons forts de cette expérience commune que nous avons partagée ensemble la semaine dernière. Les jeunes parlent de ce qu’ils en ont retenu et très vite la discussion prend un terrain plus personnel sur des expériences communes difficiles liées au collectif : des situations vécues comme du harcèlement, le regard de l’autre qui juge, le choix de s’isoler en arrêtant l’école par exemple…
Très rapidement nous constatons qu’il ne nous est plus nécessaire de relancer la conversation, elle repart d’elle-même. On ironise même sur le silence et sur ce que cela produit sur chacun d’entre nous. A la fin de ce troisième et dernier temps de rencontre, chacun prend le temps de dire comment il l’a vécu. Les jeunes nous demandent s’ils pourraient faire partie d’autres temps de groupe « pour rencontrer d’autres personnes encore », « parce qu’ici on ne nous demande rien ». Puis l’un d’entre eux propose d’échanger les numéros de téléphone « pour rester en contact ». C’est le moment que nous choisissons pour nous éclipser, les laisser clôturer ce temps de groupe ensemble, sans nous : quelle meilleure conclusion pouvaient-ils donner ?
Elise GUYOT
Tout part d’une envie de professionnelles. Une envie de proposer un espace de rencontre différent de celui qu’elles proposent classiquement. Et notamment avec des jeunes qui sont en délicatesse pour rencontrer l’autre, de manière répétitive, et se plaignent de cette impossible. Une question : comment tenir compte de cet impossible tout en soutenant ce « désir » de ne plus être isolé ?
Le PAEJ propose régulièrement des actions de prévention, autrement dit avec un public « inconnu » vers lequel il s’agit d’aller. Mais qu’en serait-il si nous proposions à des jeunes que nous connaissons de se réunir à quelques-uns autour d’un objet commun ? C’est le pari des 3 temps qui ont eu lieu avec 5 jeunes rencontrés initialement en séances individuelles.
Pour ces cinq-là, aller vers l’autre ne va pas de soi. La rencontre tourne rapidement au vinaigre. L’autre est menaçant, angoissant, distant, oppressant, jamais à la bonne place, jamais à la bonne distance. Et pourtant il y a eu rencontre au PAEJ, avec l’une des professionnelles présentes. Cette relation privilégiée, créée dans un cadre particulier, pourrait-elle être le support à d’autres rencontres ? Un support sur lequel s’appuyer pour rencontrer un autre forcément différent malgré ce point commun : « je n’arrive pas à aller vers les autres » ?
L’envie, le désir d’élaborer autour de ses questions a mené à leur proposer 3 temps de rencontre. Ils pouvaient accepter, ils pouvaient refuser. Ils ont tous accepté. Certains se sentant « choisis », d’autres « curieux de voir », plusieurs « rassurés » de connaître au moins la professionnelle du PAEJ rencontrée en individuel précédemment.
Un premier temps… pour voir…
Ce premier temps, est celui de l’apprivoisement. On vient, on boit un café, un thé, ou un chocolat chaud. On discute de ces étranges gâteaux. Qu’est-ce que c’est ? Des rochers à la noix de côté ? J’en avais jamais vu. Et toi ? Moi ça me fait penser à… On est là, tous les 7 dans le même bateau, sans savoir quelle sera la phrase suivante et où elle nous mènera mais on y va ensemble. Pas d’attente particulière, pas de demande. Juste être là ensemble, et supporter ensemble cet inconnu. Un peu moins seul, quoi.
Un deuxième temps… pour (se) comprendre ?
Sortir, découvrir, aller au théâtre comme d’autres le font. Être surpris par le propos, par la mise en scène. Et puis pouvoir en parler dans un minibus, ensemble, ou plutôt à côté et libérés du regard des autres. Pouvoir dire ensuite : c’est bien, ça m’aide, on pourra refaire ?
Un troisième temps… pour conclure (?)
Se revoir pour reprendre un café, un thé, un chocolat… et pas de rocher à la noix de coco. Mais plutôt des chocolats. Ah bon, tu es allergique ? ça ne doit pas être facile, comment tu fais ? Eh ben je fais attention, ça va en fait … Il était pas mal ce spectacle. J’ai repensé à un truc depuis… Et si on échangeait nos numéros de téléphone ?
Les deux professionnelles s’éclipsent, ils n’ont plus besoin d’elles.