Accompagner parents et enfants vers un nouvel équilibre

Au sein du Point Écoute Parents, nous accueillons des parents d’enfants âgés de 0 à 11 ans, avec ou sans leurs enfants. Ce lieu confidentiel, anonyme et gratuit offre un accueil inconditionnel à toute famille en questionnement, en souffrance ou confrontée à une situation difficile.

L’entretien initial a lieu avec le parent seul, ce qui permet d’ouvrir un espace de parole, parfois pour la première fois, où peuvent se déposer des vécus complexes, douloureux, souvent émaillés de colère ou de doute. Il n’est pas rare que, dès la prise de contact avec notre secrétaire, un début de récit émerge : une mère bouleversée qui confie une situation de conflit aigu, un père inquiet du mal-être de son enfant, un parent désemparé face à une séparation familiale.

Ainsi, une mère est venue pour parler de sa fille de cinq ans, Lili, qui multipliait les « bêtises » à l’école et à la maison, allant jusqu’à manger des objets. La mère évoquait une situation conjugale marquée par la violence verbale et physique, et son sentiment de ne pas réussir à protéger ses enfants.

Le Point Écoute Parents, sans être un lieu de psychothérapie, propose un espace de soutien à la parentalité où la souffrance peut être dite, entendue, et élaborée. Lorsque la situation le nécessite, des orientations vers d’autres structures (CMPP, pédopsychiatrie, accompagnement social, accompagnement vers des structures de protection, centres sociaux…) sont proposées, dans une logique de partenariat avec les acteurs du territoire. Ceci permet à la famille de se saisir de services plus spécialisés en mesure de l’accompagner dans ce qui fait difficultés pour eux, de manière plus soutenue et régulière.

Notre collègue Julia STENOU, médiatrice socio-culturelle et parentalité au sein de SéSAM Bretagne – la Maison Pour Tous, et l’association « J’ai vu un documentaire » facilite également le lien avec les familles. Sa connaissance fine du réseau associatif local permet d’orienter certaines situations vers des ressources adaptées, de tisser des liens sur leur territoire et de consolider le soutien apporté.

Deux regards croisés : psychologue clinicienne et éducatrice spécialisée

La richesse de l’accompagnement repose sur la complémentarité de deux professionnelles : une psychologue clinicienne et une éducatrice spécialisée. Cette double approche permet une analyse des enjeux psychiques et éducatifs. Elle autorise également une souplesse dans les modalités d’accueil : entretiens parent-enfant, rencontres individuelles dans des espaces différenciés, jeux, dessins ou échanges plus formels.

Dans de nombreuses situations, la présence d’un binôme permet de sécuriser une parole, de recevoir à la fois ce qui s’énonce explicitement, et ce qui passe par le corps, le silence, le comportement.

Ce fut particulièrement précieux pour accompagner deux frères, Lenny et Alban, dans un contexte de séparation conflictuelle. Tandis que l’aîné restait figé dans un silence contrôlé, le plus jeune verbalisait colère et frustration avec une forte impulsivité. Le travail en duo, auprès de la mère et des enfants a permis de moduler les rencontres : parfois ensemble, parfois séparément, selon ce que chacun pouvait investir à ce moment-là.

De nombreux enfants que nous rencontrons ont été témoins de violences, de séparations conflictuelles, ou vivent dans des environnements instables.

Certains enfants jouent, dessinent, d’autres évitent les mots qui sont associés à un souvenir douloureux. Il ne s’agit pas de convoquer une parole, mais de laisser place à ce qui peut émerger : un dessin, un jeu avec une maison de poupées, un mouvement du corps… Ces signes sont parfois les premières expressions d’un malaise plus profond. Hélène BONNAUD, psychanalyste, commentait que le symptôme apparaît comme  » manifestation inconsciente de la structure de la famille. »

Selon Guy AUSLOOS « Le symptôme est le signal d’une perturbation d’une ou plusieurs des fonctions nécessaires à la survie des familles. » Cela fait partie de la compétence des familles, pour traverser les nombreux aléas auxquelles elles sont confrontées.

Lili, par exemple, investissait le jeu symbolique de manière intense : en rejouant des scènes domestiques, elle mettait en scène une « maman qui pleure » ou un « monsieur qui crie ». Ces jeux, loin d’être anodins, ont permis de nommer, petit à petit, ce que les mots n’arrivaient pas encore à dire.

Coralie 8 ans, orientée par l’école, montrant certaines difficultés dans ce cadre, pourra dire lors d’un entretien familial que ce qu’elle n’aime pas c’est voir maman pleurer et ce qui la rend heureuse c’est que ses parents soient heureux…

Certains enfants vivent dans un conflit de loyauté : dire, c’est risquer d’abîmer la relation avec un des parents. D’autres sont pris dans des jeux d’alliances où leur parole est instrumentalisée de manière plus ou moins consciente. Dans ces cas-là, notre rôle est de de favoriser et protéger un espace neutre, où l’enfant peut s’autoriser à être lui-même, sans enjeu ni pression.

Des parents en perte de confiance

Quelqu’un a dit « Un des métiers les plus difficiles est celui de parents, et c’est le seul pour lequel il n’y a pas de formation » de plus « depuis que le monde est monde, les parents sont considérés comme responsables de tous les défauts de leurs enfants » Guy AUSLOOS.

Personne n’est vraiment préparé à l’arrivée d’un enfant. Et encore plus aujourd’hui avec la réalité d’un plus grand isolement social, parents et grands-parents peuvent être à distance et le soutien des parents est moindre.

Mais nous avons tous été à l’école de nos parents. Être parents, c’est être parents avec ce que l’on a reçu en tant qu’enfants, les mots doux et les coups reçus parfois. Le parent se réfère à ce qu’il a connu, aux différents modèles qui l’ont accompagné depuis la naissance. Nous avons hérité d’un certain nombre de valeurs que nous avons envie de transmettre et de contre-valeurs que nous avons décidé de ne pas transmettre.  Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver et de se départir de modèles, même si ceux-là ne conviennent pas toujours. Et cela implique d’inventer d’autres manières de faire en tant que parents.

Les parents que nous rencontrons expriment souvent épuisement, culpabilité, colère ou ambivalence. Il arrive qu’ils se sentent isolés, jugés ou dépassés. En leur proposant un lieu d’écoute, nous les aidons à reprendre appui sur leurs compétences parentales, à comprendre les effets de certaines situations sur leurs enfants, à mettre des mots sur leurs propres fragilités, parfois issues de parcours de vie marqués par la violence ou l’abandon. Cela permet aussi, pour les parents, de sentir qu’ils ne sont pas seuls dans ce qu’ils vivent.

La mère de Lili se disait « à bout » et coupable de faire vivre ce climat instable à ses filles. Son isolement, la pression quotidienne, l’absence de soutien conjugal et sa propre histoire familiale la laissaient sans ressources psychiques. L’espace d’écoute a permis peu à peu de restaurer une capacité à penser sa place de mère.

Dans certaines familles, la séparation est récente et tendue. Dans d’autres, des recompositions familiales viennent raviver des blessures ou des conflits de valeurs éducatives. En travaillant avec chacun dans un cadre apaisé, nous aidons à restaurer la fonction contenante du parent, cette capacité à rassurer, à poser un cadre, à faire lien.

Quand la parole se tisse :

Dans plusieurs situations, ce n’est qu’après plusieurs rencontres que l’enfant commence à nommer ce qui le trouble : une scène de violence, un climat menaçant, un sentiment d’insécurité. Ces paroles, fragiles mais précieuses, peuvent guider des décisions d’orientation, de protection ou de soin.

Ce fut le cas de Lenny, qui a mis plusieurs semaines avant de faire allusion à des événements vécus chez son père. La mise en mots a été précédée d’un long travail de confiance, passant par le dessin et des jeux libres. Le plus jeune, Alban, parlait rapidement de situations vécues, mais exprimait avant tout un trop-plein émotionnel, difficilement contenable. Leur mère a pu se saisir progressivement de cet espace pour interroger ses propres possibilités d’action, malgré la peur.

Pour Simone DE BEAUVOIR : « Nommer c’est dévoiler et dévoiler c’est déjà agir » Ainsi l’accueil que nous pouvons faire auprès des familles, parents et enfants leur permet d’agir et ainsi faire évoluer leur situation.

Si l’on se réfère à Guy AUSLOOS thérapeute systémique familial, l’espace offert à la famille doit permettre de faire émerger les compétences de la famille et non leurs difficultés « On ne parle pas de familles dysfonctionnelles mais de familles compétentes » les familles trouveront leurs solutions, si elles sont accompagnées dans la mise en mots de ce qu’il se passe pour elles.

Une porte ouverte, sans condition

Ce que nous proposons ici, c’est un espace tiers, en dehors des injonctions éducatives, judiciaires ou scolaires. Un lieu où l’on peut venir une fois, plusieurs fois, ou être orienté ailleurs. Un lieu où l’on ne demande pas de prouver, mais de se déposer. Un lieu qui reconnaît la souffrance et qui accompagne les familles à redevenir sujet de leur propre histoire.

Sophie TALIGOT

éducatrice spécialisée, PEP du Pays de Lorient

Marie GASPARINI

psychologue clinicienne, PEP du Pays de Lorient
  1. Guy AUSLOOS, La compétence des familles, Temps, chaos, processus, ERES, 2000
  2. Hélène BONNAUD, L’inconscient de l’enfant du symptôme au désir de savoir, 2013, Navarin. le Champ freudien