Ce que parler veut dire et ses implications sur l’écoute

C’est quoi parler ? Peut-on tout dire ? à tout le monde ? Est-ce que parler ça sert à tout le monde ? Est-ce que ça fait du bien ? Parler à ses amis, est-ce pareil que parler à un professionnel ? Est-ce que c’est difficile de parler en entretien ? A partir de quoi vient-on parler au PAEJ ? Parler, ça peut avoir des effets ? Comment ça marche ?

Venir parler au PAEJ et être écouté

On ne vient pas au PAEJ parce que parler ça fait du bien. On ne vient pas pour parler à tire-larigot, pour blablater. Prendre la parole, venir parler de soi et de ses embrouilles engage celui qui en fait la démarche, implique celui qui parle, la manière dont il prend la parole, avec ses signifiants, les mots qui ont baigné son enfance, sa langue familiale. Cette prise de parole, c’est la garantie de ne pas être classé selon un diagnostic ou une étiquette car recevoir la demande de parler d’un adolescent ou d’un jeune adulte, qui souffre, se trouve dans une situation de vulnérabilité ou de mal-être, ou un membre de son entourage, c’est recevoir chaque demande de manière inconditionnelle et de la prendre au sérieux.

Il s’agit donc d’accueillir cette parole par une écoute sur-mesure en repérant ce qu’il y a de plus singulier chez chacun, ce qui le différencie de tous les autres. Il faut donc laisser les jeunes parler, quand ils viennent demander quelque chose puisque dès que l’on parle, on demande. Le silence est de mise du côté du professionnel pour laisser un espace où puisse se loger la parole. « L’important n’est pas tant le contenu de la demande, mais ce qui échappe totalement au sujet et le pousse à demander 1 ». L’important n’est pas tellement que « le langage dise ou ne dise pas la vérité c’est qu’il aide – tout court 2 ». L’enjeu est donc qu’il opère des effets sur le symptôme dont se plaint le sujet.

Il s’agit que l’adolescent puisse repérer l’apparition de son mal-être, y donner sens ou faire le lien entre un événement et l’apparition des symptômes, élucider ce qui a fait rupture… afin de renouer avec des points d’appui qui vont soutenir son inscription dans le lien familial, social, scolaire.

Pour cela, il est nécessaire de cerner dans la parole de l’adolescent les mots qui se répètent au-delà des généralités et de les faire résonner, souligner une phrase marquante, un lapsus afin qu’il entende ce qu’il dit. Parfois, il est nécessaire de s’apercevoir qu’on est impliqué pour se positionner différemment. Prendre du recul, de la distance, éclaircir une situation permettra d’éclairer son embrouille : le jeune pourra se dégager de certaines injonctions, de ce qui le déborde, l’encombre pour composer autrement.

Mettre en mots un point qui fait impasse, trouver les formules pour venir border l’angoisse, retrouver le chemin de la pulsion de vie quand celle-ci est à l’arrêt s’opère dans le souci d’historiser et de donner un poids aux détails.

Effets pas sans surprise

Louis se présente car il ne comprend pas pourquoi son meilleur ami le laisse tomber, pour sa nouvelle petite copine. Depuis, il ne trouve plus goût à rien, n’a plus envie d’aller au lycée. Il ne sait pas ce qui se passe pour lui. Après quelques rendez-vous, un sentiment de jalousie et de rivalité apparaît. Je décide de ne pas toucher à cette construction car cela le sort d’une certaine perplexité. Le circuit de la parole se remet en marche. Enkysté dans cette histoire avec son meilleur ami, Louis commence, sans s’en apercevoir, à parler de lui. Je pointerai régulièrement les mots qui le distingue. Il se dit intéressé par la vente (études qu’il suit), d’une manière singulière : il précise être attentif à la demande de chaque client, il laisse chacun venir vers lui puis tente de répondre au mieux à leurs attentes. Louis reprend petit à petit goût à parler de ses stages et à aller à l’école. Il s’en étonne.

Soutenir un parent d’adolescent dans ce qu’il invente au quotidien face aux difficultés rencontrées afin d’être partenaire de son enfant peut aussi produire des effets, de surcroît, sur le comportement de celui-ci.

La mère de Maëlle s’adresse au PAEJ car sa fille, atteinte d’une maladie infantile est sur le point de se déscolariser. Elle se renferme, devient agressive verbalement et sort de plus en plus. Récemment elle s’est scarifiée. Mme R. mesure qu’il se joue quelque chose pour sa fille au-delà des douleurs somatiques. Elle refuse de venir parler au PAEJ. J’inviterai donc Mme R ; à venir parler. Elle s’interroge sur la position à tenir avec sa fille car dès qu’elle s’adresse à elle, celle-ci parle plus fort. Mme R. repère qu’elle ne peut pas s’empêcher de parler dans la voiture, pendant le repas, elle n’aime pas le silence. Je m’étonne de cela et Mme s’interroge : ne devrait-elle pas moins parler ? Cela lui demande un effort important car cela la ramène à la position de ses propres parents. Enfant elle tentait de contrer la dépression maternelle en parlant. Mme se plaint que sa fille ne fasse rien. Sa chambre s’y accumule des vêtements sales, des détritus… Elle ne peut pas s’empêcher de ranger. Racontant cela, elle s’aperçoit avec étonnement qu’elle est toujours à leur disposition, que « c’est de (m)son fait ». Elle va tenter d’être moins à son service tout en restant présente pour l’orientation scolaire. Les effets sont rapides : après quelques semaines, sa fille repère que sa mère est moins sur son dos depuis qu’elle va voir « la psy question d’ados ». La jeune fille acceptera un rdv au CMPEA 3, renoue avec un projet d’insertion. Mme R. débute une activité sportive, trouve un travail qu’elle n’avait pas repris depuis un déménagement. Pas toute mère, femme aussi.

Lire aussi L’écoute au Point Accueil Ecoute Jeunes par Cécile Herrmann-Lehuédé.

1 Doucet C., Laisser les gens parler, Hebdo-Blog, 21/01/2024
2 Lacan J., « Le Phénomène lacanien », texte établi par J.-A. Miller, Nice, Section clinique de Nice, 2011, p. 18.
3 Centre Médico Psychologique pour Enfants et Adolescents

Delphine GICQUEL

psychologue clinicienne, PAEJ du Pays de Pontivy