Point Accueil Écoute Jeunes : une pratique à plusieurs

Je présente ici le parcours de Tony, le prénom a été modifié, accompagné au PAEJ avant et pendant la crise sanitaire.

Son accord a été sollicité pour la rédaction de cet article.

Première rencontre en octobre 2019

Tony est scolarisé en classe de 1ère. Il exprime des angoisses importantes survenant sur les temps de classe et à l’internat, notamment dans sa relation à l’autre. En effet les comportements ou attitudes de Tony, peuvent parfois être mal compris par ses camarades. La situation à l’internat est si tendue que le lycée envisage à un moment de mettre fin à son régime d’interne. Or Tony est domicilié dans un autre département et sa scolarité en serait affectée.

Un travail s’engage alors dans les rencontres avec la psychologue du PAEJ, en lien avec les infirmières scolaires.

Des savoir-être et des savoir-faire du quotidien sont abordés avec les infirmières, expliqués à Tony et accompagnés. Tony est très réceptif et prend peu à peu confiance en lui. Au fil des semaines, il parvient à s’ajuster et à construire quelques liens amicaux. Il se dit satisfait de ces échanges et des liens établis ; et se sent bien dans l’établissement et à l’internat.

Malgré tout, il est difficile pour Tony d’indiquer des envies, des souhaits. Il a besoin de structuration, d’explications en acte, mais aussi d’une certaine impulsion, pour se mettre en mouvement ou réaliser des actes attendus au lycée et en classe. Il prend appui sur plusieurs acteurs éducatifs, et sur nos rencontres, mais ne parvient pas à formuler de demandes.

Survient la crise sanitaire

La fermeture des établissements scolaires contraint Tony à regagner le domicile. Nous restons sans nouvelles dans une période plutôt chaotique et inquiétante.

A son retour, l’infirmière lui fait la proposition de reprendre les rendez-vous. Au domicile, Tony explique « avoir tout lâché », il ne faisait strictement rien de ses journées, à part « les jeux vidéo », ne sortant pas de chez lui.

De retour en classe

Il est plus difficile pour lui de maintenir une concentration continue, notamment lors de la prise de note. En effet, il fait part notamment de sa difficulté à écrire, à former les lettres d’un mot « c’est trop dur, ça va trop vite, je n’y arrive pas ». Tony possède par contre une bonne mémorisation des informations données à l’oral, mais il ne parvient pas à les retranscrire dans l’instant. Cela le conduit généralement à un abandon du travail.

De même, lors de ses devoirs, il ne parvient pas à écrire ses réponses, et renonce petit à petit à toute production écrite lors de l’étude du soir ou à son domicile. Il est alors plus agité et est convoqué par le proviseur-adjoint qui reprend avec lui le cadre à respecter pour le bon déroulement de sa scolarité.

Tony s’apaise. Lors d’une séance, il m’explique en classe d’informatique être très à l’aise avec cet outil (ordinateur) dont il fait usage quasiment en continu lors des temps au domicile. Il montre une grande aisance et cela le rassure.

Tony m’adresse alors une demande

C’est sa première demande au terme de plusieurs mois d’accompagnement.

Il souhaiterait disposer de l’outil informatique en classe, en support et en appui à sa prise de note, et lors de la rédaction des devoirs.

Si des évaluations restent nécessaires pour préciser la pertinence et l’usage de cet outil dans le travail scolaire, il nous semble important de soutenir cette demande. Je relaie cette demande auprès des infirmières, qui prennent alors contact avec la famille pour mettre en place un rendez-vous chez un ergothérapeute. Mais ses parents ne donnent pas suite et la demande ne peut aboutir.

Quelques mois plus tard, il a 18 ans. À quelques semaines du baccalauréat, il parvient avec l’aide des infirmières et de l’assistante sociale, à monter un dossier de demande d’aides en son nom, pour financer la séance d’ergonomie.

L’ergothérapeute le reçoit quelques temps plus tard et valide la demande de Tony, de disposer d’un ordinateur. Elle ajoute un tiers temps supplémentaire pour les évaluations et les épreuves d’examens.

Le proviseur-adjoint de l’établissement fera alors la demande au rectorat pour que Tony puisse en disposer dès les épreuves de juin, demande qui sera accordée in extremis.

Tony réussit ses épreuves et obtient son baccalauréat du premier coup. Il est également admis dans un IUT « Informatique et électronique », orientation travaillée en amont avec la psychologue Education Nationale.

Quelque chose fait alors corps avec ce petit objet, avec lequel il se projette professionnellement. Tony qui ne peut en passer par l’écrit, et pour qui l’oral reste très difficile, prend la voie(x) de l’informatique. Il se dit intéressé par la notion de « réseau » et « canal » ! A lui maintenant de tisser son réseau social et d’établir quelques connexions….

Ce parcours est un bel exemple d’une pratique à plusieurs au PAEJ, à partir d’une situation donnée.

Si notre structure est du côté de l’écoute, les professionnels qui y interviennent s’inscrivent néanmoins dans cette notion de parcours. Cela suppose des allers-retours entre les dires d’un jeune et les partenaires ; mais aussi implique d’être à l’écoute d’une situation particulière rencontrée par un jeune. Rien n’est en effet prédéterminé d’avance. C’est la mobilisation et le désir de chaque professionnel qui dans le cas présent, permet à Tony de s’inscrire et de se projeter dans un parcours, grâce à un étayage « pensé » à plusieurs, et à partir de ce qu’il est de singulier.

Cela est d’autant plus important aujourd’hui, qu’existe dans les institutions une tentation plus grande de se consacrer au « Comment » traiter une situation problématique ; au détriment du « Pourquoi ? », qui réfère elle à la cause du problème rencontré par un jeune.

Cette cause est parfois voilée par des signifiants récurrents que nous rencontrons « phobie scolaire, HPI, élèves décrocheurs, TDAH… ».  Le risque n’est-il pas alors s’ils sont alors traités comme tels, c’est-à-dire sans possibilité d’être interrogés par le jeune, la famille et parfois l’institution, de mettre de côté ce qu’il est de plus singulier ?

Nous voyons avec la situation de Tony, combien la prise en compte d’une situation dite problématique par l’institution, nécessite un temps parfois long pour mettre à jour une demande, une question, un désir.

Peut-être qu’il y a aujourd’hui à penser avec cela, c’est-à-dire prendre le temps de la rencontre : le désir de chacun ne peut  en effet se loger dans un « prêt à porter » pour tous.

Vandine Taillandier

Psychologue clinicienne, PAEJ Oxyjeunes