Corps et consentements

Le collectif “place des femmes” du territoire de Lorient a pour but de réinterroger la place et les conditions des femmes et des hommes… Ainsi, s’organisent avec différents partenaires des actions auprès de différents publics afin de poser des regards critiques sur la réalité, de travailler à l’émancipation individuelle et collective, valoriser le dialogue permanent entre les populations.

Dans ce cadre a été proposé, aux élèves de première et terminale de deux lycées du pays de Lorient, un spectacle de danse-théâtre “Sol froid et sensation du mal” de l’artiste Fleur Rabas, qui raconte le parcours, les conséquences corporelles et mentales d’un viol. L’artiste veut faire comprendre les difficultés d’en parler, de dire non, d’oublier…et par l’échange en fin de spectacle met en lumière également la reconstruction, la confiance qui revient…

Un temps d’échange en amont, animé par le PAEJ du pays de Lorient, leur a été proposé afin d’aborder la notion de consentement.

La mise en corps

Quant au spectacle, l’artiste, Fleur Rabas, danseuse, se présente et présente son spectacle, en lien avec son histoire et les nombreux témoignages d’hommes et de femmes ayant vécu la même chose, qu’elle a recueilli et qui ont ainsi nourri son spectacle. De personnel, elle en fait un spectacle où la parole de plusieurs est nommée. Ces témoignages mis en mots et en corps pourrait-on dire, exprime le vécu d’un viol, ce que celui-ci génère physiquement et psychiquement, comme « un cerveau qui fui et vient à rendre humide les cheveux », un corps qui échappe, qui souffre sans savoir pourquoi, un corps qu’on osculte, qu’on manipule afin qu’un diagnostic tombe, « somatisation psychogène sans épilepsie », pour que soit prescrit un traitement.

Elle va ainsi exprimer par le corps ses différents ressentis et les différentes étapes par lesquelles elle passe, puis par des mots, telle cette lettre à son père, ne pouvant le lui dire en face. D’ailleurs, ce théâtre dansé mélange le corps et les mots qui ont cette force par la voix et qui parfois prennent la place du corps, et à d’autres moments le corps n’a plus besoin de mots tant il nous dit des choses.

Elle finit par une sorte de mise à nu, au propre comme au figuré, qui semble s’apparenter au travail thérapeutique dans lequel elle s’est engagée pour s’en sortir.

Du corps à la parole

Suite au spectacle, elle répond aux questions des élèves, la première question vient d’un garçon, « avez-vous peur maintenant lorsque vous avez une relation ? », puis d’autres élèves, comme, « est-ce que le rapport à votre corps a changé », « est-ce difficile d’aller vers les autres ? », « combien de temps a duré votre suivi psychologique ? »…

A ces questions, elle va évoquer son cheminement pour aller vers le soin, expliquant qu’elle a été en quelque sorte « malade », même si selon elle ce n’est pas la victime qui est malade, c’est l’autre, son corps exprimant une souffrance qu’il a fallu soigner avant de consulter un psychiatre qui lui a simplement demandé si elle avait eu des relations sexuelles et si cela s’était bien passé. Cela a été le déclencheur pour enfin en parler et se souvenir et ainsi mesurer qu’elle avait été victime d’un violeur.

La nécessité d’être entourée, d’être écouté et d’être cru, de se faire aider par des professionnels est ainsi mise en avant.

Cela renvoyant aussi à la fin du spectacle, qu’il ne faut pas en vouloir à ses parents s’ils ne comprennent pas car « ils ne sont pas préparés à entendre cela ». Cela rend exceptionnel le spectacle dans le sens où chacun peut s’y retrouver quel que soit le vécu, la peur, la surprise, l’idée que c’est peut-être normal, le dégoût, la honte, la culpabilité, et ce que renvoient les autres comme une hypersensibilité, ou le « mais toutes les femmes vivent ça » prononcé par sa mère.

Si la danse vous parle :

« EN CORPS », un film de Cédric Klapisch (2022).

Cédric Klapisch a, dit-il lors d’une interview, toujours été attiré par la danse, d’ailleurs dans tous ses films, il y a une ou des scènes de danse. Ce film est l’histoire d’une rencontre avec un chorégraphe et une danseuse. Pour lui, la danse permet de générer des émotions et face à un spectacle de danse, chacun va réagir à sa façon, ce film est donc une manière de réconcilier les personnes qui n’aiment pas la danse avec celle-ci.

Le film met en scène une jeune danseuse classique, qui se blesse et à partir de cette blessure, nous devenons témoins de sa douleur, de son renoncement, incité par son père qui ne perçoit pas la danse comme un art à part entière, et qui lors d’un spectacle va être ému et enfin lui dire son amour. Puis, nous assistons à sa renaissance par la pratique d’une autre danse qu’est le contemporain. Le corps qui parle, qui nous parle par le biais de la danse, le corps en mouvement qui nous émeut et suscite en nous quelque chose d’indicible, tel un tableau vivant dont la singularité nous submerge et comme le dit un personnage du film, nous permet d’accéder à « un petit aspect de la beauté ».

Pascale Marcadé

Psychologue clinicienne, PAEJ du Pays de Lorient