D’un monde à l’autre : comment favoriser l’intégration des jeunes dans le collectif ?
Depuis 2022, au PAEJ du Pays de Morlaix nous proposons des sorties sur différents sites naturels, en partenariat avec l’Association “Sentier Vous Bien” afin de permettre aux jeunes de se déconnecter, de découvrir leur territoire, se remettre en mouvement, rencontrer d’autres jeunes, s’extraire d’une situation anxiogène le temps d’une pause dans la nature.
Vous retrouverez toute la genèse de ce projet sur la page Immersions sensorielles de notre site internet. Et si vous souhaitez en savoir davantage, nous vous invitons à prendre connaissance des articles déjà écrits par l’équipe sur ce projet : “Projet d’un monde à l’autre” et “ Au cœur des séances d’immersions sensorielles”.
A qui s’adressent ces sorties sensorielles ?
Nous proposons ces sorties à des jeunes que nous percevons isolés socialement du fait notamment de l’arrêt temporaire de leur scolarité ou leur sortie du système scolaire. Pour des motifs variés, ils tendent à se replier dans un univers familier étroit. Aller vers les autres et les laisser venir à eux est difficilement envisageable au nom d’expériences douloureuses passées et de la dépréciation de leur image. D’autres se disent débordés par l’inquiétude, les choix à assumer, les injonctions auxquelles répondre, la peur de ne pas y arriver, les conflits avec leurs pairs ou les parents.
D’autres encore, cherchent explicitement à nouer des relations, mais se disent empêchés, maladroits, ou insatisfaits du peu d’occasions qu’ils rencontrent dans leur quotidien. Ces sorties en petit collectif, centrées sur la découverte de lieux inhabituels pour eux, les moments d’interconnaissance organisés par les professionnels du PAEJ, notamment lors des repas, qui viennent en appui des techniques de relaxation proposés par les professionnels de l’association Sentier Vous Bien, nous semblent favorables à la création de liens.
Nos constats au terme de l’expérimentation 2023
En 2023, nous faisions plusieurs constats : difficultés à mobiliser les jeunes, et pour ceux qui s’y inscrivent, malgré tout nous observions qu’ils ne s’y engageaient souvent pas dans la durée. De plus, l’implication d’un jeune sur une fréquence de 12 séances (non obligatoire mais suggérée) pouvait être perçu comme un engagement trop difficile à tenir. Au regard des profils des jeunes orientés, et de ces constats, nous avons repensé certaines modalités pour tenter de faciliter l’inscription du public adolescent dans un tel projet.
En effet, nous nous sommes questionnés sur ce qui pouvaient constituer des freins à l’inscription d’un jeune dans un groupe de pairs, et notamment :
- La modalité d’invitation d’un jeune influe-t-elle sur sa participation ?
- La durée du projet conditionne t-elle l’engagement sur l’action ?
- La présence ou l’absence d’un professionnel connu par le jeune, au démarrage du projet impacte t-il l’engagement du jeune ?
À l’origine, lorsqu’un jeune était invité par un professionnel du PAEJ à participer à une séance, les dates lui étaient communiquées pour lui permettre de s’inscrire. Cette modalité laissait donc libre à chacun de répondre favorablement ou non. Par exemple en 2023, un jeune a effectué 3 sorties, l’une en février, en juin puis en juillet 2023, correspondant à ses périodes de vacances scolaires ce qui lui a permis de venir aux immersions. Bien que cette approche souple visait à favoriser l’engagement, elle entraînait une rotation fréquente des participants à chaque séance d’immersion sensorielle proposée, engendrant une certaine instabilité au sein du groupe.
Nous avons émis l’hypothèse que cette instabilité du groupe lors des séances pouvait influer sur l’engagement au long terme des jeunes. Nous supposions que cette rotation pouvait renforcer un sentiment d’insécurité.
De plus, afin de promouvoir une meilleure connaissance mutuelle entre les jeunes et les membres de l’équipe du PAEJ, une rotation des professionnels lors des sorties était mise en place, autrement dit, un jeune qui participait aux sorties pouvait rencontrer différents professionnels du PAEJ et non le même professionnel à chacune des sorties. Or pour ne pas renforcer davantage la fragilité du groupe, il nous a semblé important de revoir cette modalité. Afin d’apporter plus de stabilité au groupe nous avons fait le choix en 2024, de rendre systématique la présence du professionnel qui a orienté le jeune sur l’action, à savoir une présence du professionnel au démarrage du projet (réunions d’informations, et première(s) immersion(s) sensorielles). En 2024, cette modalité a également été proposée aux partenaires dans le cas d’un jeune orienté par une structure autre que le PAEJ.
Quelles adaptations principales du projet en 2024 ?
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Un nouveau calendrier et l’ implications des partenaires prescripteurs
Cette année, le calendrier des séances a été ajusté pour inclure des cycles plus courts, comprenant chacun deux séances. Au regard des changements de situations et de la mobilité propre au jeune public (formation, reprise d’un travail…) cela rend plus lisible et plus tenable, dès le départ, la capacité d’engagement.. Nous sollicitons alors les jeunes à participer, au moyen d’un carton d’invitation, ce qui revêt un caractère plus individualisé à celle-ci.
De plus, nous avons mis en place de manière systématique une réunion d’information collective, comprenant une présentation générale du projet, et des échanges pour favoriser la connaissance mutuelle entre les jeunes et les professionnels, ainsi que la formulation des attentes de chacun . Le jeune peut venir s’informer sans s’engager à ce stade et faire un choix sur sa volonté de poursuivre. Puis, nous organisons une seconde réunion de cohésion ultérieure où les jeunes s’étant engagés à participer aux sorties, sont présents. Lors de ces deux premiers temps de rencontre tous les professionnels qui orientent un ou plusieurs jeunes vers un cycle, sont présents, afin de sécuriser le jeune lors de son entrée dans le projet.
Ce format permet aux jeunes de se projeter dans une action qui a un début, un milieu, une fin, à l’issue du cycle le jeune peut intégrer le cycle suivant s’il le souhaite. Si c’est le cas, le jeune participera de nouveau a un temps de cohésion, et s’il est d’accord le jeune pourra présenter le projet et intégrer lui même les nouveaux jeunes. En effet, devant le constat de la difficulté des jeunes à s’engager dans leur venue, il est apparu important que les sorties ne se vivent pas seulement le jour même, mais que les jeunes puissent déjà s’y investir en amont afin qu’une inscription dans le temps soit possible De la même manière, si collectif il y avait, ce dernier ne naissait pas, lui non plus le seul jour de la sortie, mais pouvait émerger dans sa préparation.
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La complémentarité des approches
Nous avons pu faire le constat que certains jeunes pouvaient apprécier s’en remettre aux professionnels lors de ces sorties et se laisser porter par les techniques de relaxation. D’autres attendaient aussi fortement de pouvoir y être plus actif, justement pour nouer des relations avec les autres participants.
Ainsi les professionnels du PAEJ ont proposé durant l’ensemble du projet, l’utilisation de médias durant la pause méridienne, afin de permettre l’émergence d’échanges, d’un climat de confiance et l’interconnaissance entre les professionnels et les jeunes.
Quel bilan de ces adaptations ?
Cette année, 12 jeunes ont participé à cette action, il y a eu 3 cycles entre avril et juillet 2024. Parmi eux, des jeunes accompagnés par le PAEJ, le CSAPA (Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en addictologie), la CJC (Consultation Jeunes Consommateurs) ainsi que le FJT de Morlaix (Foyer de Jeunes Travailleurs).
Ainsi, nous avons réalisé une évaluation auprès des jeunes, sous plusieurs formes afin de rendre plus facile l’expression et la réflexion. Pour cela :
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- des temps de bilans ont été réalisés à la fin de chacune des séances d’immersion sensorielle, sous forme collective et/ou individuelle à l’écrit (bilan à chaud),
- Un temps de bilan à l’issue des 6 séances en fin de projet.
Retour sur les témoignages lors des bilans à chaud
Ce 17 juillet, s’est déroulée la dernière séance d’immersion sensorielle dans la nature du projet « D’un monde à l’autre », cela a été l’occasion de proposer un autre temps à la fin des cycles de séances, sous forme d’un atelier de mise en réflexion a permis pour les jeunes qui le souhaitaient, de marquer la fin de leur inscription dans le projet et d’en faire un bilan. A cette occasion nous avons animé ce temps sous forme collective et orale appuyé par un photolangage.
Voici un extrait de l’évaluation à l’issue des 6 séances pour clôturer le projet :
Ce photolangage nous a permis d’aborder avec eux les moments qu’ils apprécient lors d’une sortie, ce qui a facilité leur engagement sur un tel projet et ce qui pourrait être amélioré. De concert, nous leur avons suggéré de nous partager ce que leur avait apporté ces sorties, en termes de santé, vis-à-vis de leur environnement, ainsi que du côté de l’inscription dans le groupe.
Lors de ce temps d’échange, 3 jeunes présents ont partagé avec nous :
– Avoir apprécié les temps de repas, car c’est selon eux un moment convivial pour échanger, rigoler, parler de tout . Ils ont également souligné le fait d’aimer particulièrement le temps d’échange amenés par des outils, ils souhaiteraient que cela soit proposé à chaque séance dorénavant.
– Une jeune affectionne spécialement la technique du “tambour céleste” qui lui permet de se déconnecter de son quotidien
– Un jeune a pu nommer que le midi étant un temps sur lequel les émotions sont plus “remuées” par les jeux qui permettent l’expression, le fait que ce temps soit suivi par des ateliers avec des techniques de détente en début d’après-midi lui a permis de reprendre plus en douceur.
– Un jeune a pu nommer avoir apprécié le fait que les techniques proposées soient adaptées à certaines problématiques physiques ou émotionnelles qu’il a rencontrées.
– Avoir des techniques pour gérer les émotions qui sont envahissantes dans le quotidien et pouvoir les réutiliser.
– À l’unanimité les jeunes apprécient les apports culturels , historiques et naturels. Pour certains, ils nomment réinvestir les lieux découverts : « J’y retourne avec mon chien », ou souhaiter les réinvestir « J’aimerais les faire découvrir à mon entourage avec ce que j’ai appris », il y a l’idée de transmission. – Un jeune nomme le fait d’avoir retrouvé un lien avec la nature. Et d’être plus attentif lorsqu’il se promène en nature.
– Ressentir un bénéfice pendant la séance ou à la fin de la journée. Un jeune a notamment nommé : “Je me sens en paix après une après-midi en séance” et que cela avait un impact positif sur ses relations les jours où il vient en sortie. Une jeune a pu dire “ça me permet une journée où je ne pense qu’à moi, rien d’autres, ça fait du bien de ne pas avoir l’heure, de portable”, une autre dit “ c’est cool d’apprendre des tips”
– Avoir apprécié rencontrer du monde. Certains ont été déçus lorsqu’ils étaient moins nombreux «C’est moins riche ».
– Le fait que l’animateur qui les accompagne, leur ai proposé ce projet “de vive voix” de venir non pas “par une affiche”, et le fait que ce professionnel soit venu avec eux sur un temps d’information collective pour découvrir le projet avec eux.
– Le fait de s’engager sur des petits cycles de 2 séances, leur paraît plus simple et tenable. Un jeune explique : “Je me serais mis la pression » s’il avait fallu s’engager sur une dizaine de séances, par peur de ne pas pouvoir venir à toutes les séances et conscient que leur situation peut être amenée à évoluer, explique-t-il.
Pour conclure
Ce dernier temps de bilan était également le moment pour marquer la fin du projet. Par le biais de ce temps, les professionnels du PAEJ se sont saisis de l’occasion pour mentionner aux jeunes qu’une poursuite du soutien individuel par le PAEJ est envisageable pour ceux qui en ressentiraient le besoin.
Les nouvelles modalités mises en place en 2024 semblent avoir pu lever les freins repérés pour un public adolescent et jeunes adultes, à s’inscrire dans un cadre collectif. Cette année, les jeunes inscrits ont participé à un nombre accru de séances. Ces évolutions du projet nous permettent une meilleure compréhension des conditions permettant d’accompagner les jeunes, à passer d’un travail individuel à aller vers autrui, malgré les problématiques propres à chacun, qui impactent leur vie relationnelle. Ainsi, ils peuvent l’expérimenter de manière autonome, dans un environnement qui semble plus tenable.